26/05/2022

Les dragées Braquier (Verdun)

La dragée est considérée comme la confiserie la plus ancienne de France. Elle aurait été créée au début du XIIIe siècle par un apothicaire de Verdun qui cherchait un moyen de faciliter la conservation et le transport des amandes qu’il utilisait.


La Maison Braquier créée en 1783, située à Verdun rue du Fort de Vaux, est la seule usine lorraine à fabriquer la dragée de façon artisanale et traditionnelle. Ci-dessous, un large extrait d’un article de la revue hebdomadaire Le Panthéon de l’Industrie (1891) [Gallica.bnf.fr] présentant l’historique de la maison Braquier.



Dragées de Verdun et autres produits de la Grande Usine du Château de Coulmier 


L’on n’ignore pas le lien et la date de l’invention française de la dragée [1783], ce bonbon exquis dont les innombrables créations ultérieures de la confiserie n’ont nullement réussi à faire dédaigner ni à diminuer la consommation ; si l’on ne savait pas l’époque de notre histoire à qui revient l’honneur d’avoir doté Verdun de cette fabrication originale qui lui a valu de si beaux bénéfices et une si grande réputation, cette lacune serait très certainement regrettée par les historiens de l’industrie. Mais cette lacune n’existe pas heureusement. Les livres nous apprennent que c’est au XIIIe siècle qu’un droguiste de Verdun (innommé malheureusement) eut l’heureuse idée de revêtir d’une couche de sucre les amandes qu’il s’était borné jusque-là à broyer pour les convertir en pâte, et que ces épices (c’est le nom que l’on donna d’abord à ces produits), profitant de leurs facilités de transport et de conservation, obtinrent un succès qui se développa de plus en plus et qui devint, pour le lieu de leur invention, une précieuse source de richesse.


 
Source : gallica.bnf.fr 

Voilà l’histoire du passé. Nous espérons que celle de l’avenir sera plus précise encore, et qu’en rappelant qu’une maison de confiserie du château du Coulmier, près de Verdun, a réussi à donner à cette spécialité du pays ainsi magnifique développement que sa production, triplée dans l’espace de trois ans, s’élève maintenant à 1,5 millions de kilogrammes par an, nous aurons donné un détail qui sera recueilli par les futurs historiens de cette industrie. Si nous pouvions faire connaître ce fait économique à nos descendants, nous en serions réellement fiers ; mais nous tiendrions en même temps à ce qu’ils sussent par nous que la maison Léon Braquier et Boivin, dont nous allons rappeler rapidement l’histoire, est très loin de s’être enfermée d’une façon exclusive dans cette intéressante spécialité de la dragée, et qu’on lui doit, entre autres curieuses inventions, une série d’articles explosibles dont nous signalerons plus loin quelques types des plus intéressants.

Les turbines à dragées sont inventées à la fin du XIXe siècle par les confiseurs Peysson,
 Jacquin et Delaborde. Elles remplaceront les bassines appelées "branlantes".
Source image : Wikimedia commons

Mais avant d’en venir là, rappelons brièvement que la dragée de Verdun obtint, à ses débuts, un si magnifique succès dans le monde de la noblesse qu’aucune dame, aucun jeune homme de ce monde, ne se croyait autorisé à se passer de porter sur eux un drageoir élégant.
La dragée, toutefois, ne fut très longtemps qu’un produit rugueux du genre de la praline, et ce ne fut qu’au commencement du XVIe siècle que l’on réussit à donner à ces amandes enveloppées de sucre ce magnifique poli qui les rendit dignes d’être offertes aux rois, aux reines, aux princes, aux princesses, aux évêques eux-mêmes, à l’occasion de leur entrée solennelle dans la localité où ils devaient exercer leur autorité.
Avec ce côté brillamment aristocratique de l’histoire de la dragée, nous sommes contraints de signaler un terrible revers de médaille : celui des dangers de sa fabrication qui, comprenant l’emploi de bassines agitées à la main, pendant des journées entières, sur des fourneaux ou brûlait du charbon de bois, provoquait un dégagement d’acide carbonique assurant aux malheureux ouvriers une santé déplorable, quand il n’amenait pas leur complète asphyxie.
Ce n’est certes pas aujourd’hui qu’il faudrait s’attendre à de pareils accidents, dans cette vaste usine du château du Coulmier, construit dans de magnifiques proportions par M. Léon Braquier, et où l’on ne s’est pas borné, dans l’intérêt du personnel, à adopter l’usage des vastes bassines plates créées à Verdun en 1852, et celui des bassines Peysson. On y a combiné, par tous les moyens possibles, des procédés de chauffage et des moyens de ventilation assurant une pureté d’air vraiment absolue. Il est bien entendu que cette maison, qui compte 108 ans d’existence, n’a pu réaliser dès ses débuts une pareille perfection. […]


Détruite durant la Guerre 1914-1918, l'usine du Coulmier sera reconstruite et modernisée.




Le petit-fils du fondateur, M. Édouard Boivin, eut, en 1878, une idée tout à fait décisive : celle de s’associer avec M. Léon Braquier, dont les capacités et les connaissances spéciales ne peuvent faire aucun doute pour les hommes compétents. L’association de ces deux hommes (rompue seulement au mois d’avril par la mort de M. Boivin, qui a laissé M. Léon Braquier seul chef de l’établissement) devait être puissamment féconde. Le père de M. Braquier avait fondé, à Verdun, en 1852, une fabrique de dragées à laquelle ils avaient aussi donné de grands développements. M. Braquier père, en effet, avait doublé, en quelques années, le chiffre de ses affaires, et avait dû, en 1858, pour suffire au développement incessant des commandes, transférer son usine au numéro 10 de la rue Mazel, s’y établir très largement, mais d’une manière cependant qu’il ne devait pas être longtemps suffisante.

En 1864, date à laquelle le chiffre de ses affaires se trouve apporté à 150 000 F et il dut s’annexer le numéro 12 de la même rue, et en 1871, la maison Braquier fait un chiffre d’affaires de 250 000 F.

C’est en 1878 que fut réalisée la féconde association des maisons Léon Braquier et Boivin, et que fut créée l’immense usine que nous venons de visiter sur l’emplacement du château du Coulmier.
[…]
Nous citerons un système d’obus que l’on peut allumer sans danger toujours pour le faire éclater et lui faire lancer sur la table non pas seulement d’excellentes dragées Verdun mais des devises, des charades, de la musique, des photographies… Et bien d’autres objets que nous ne citerons pas, pour en laisser la surprise aux amateurs. […] 

 





Fabrication 

Les ingrédients principaux sont des amandes (ou des noisettes, des pistaches, des pâtes de fruits, de la nougatine, du chocolat) du sucre et de l'eau.
  • L'étuvage des amandes triées se fait dans un local ventilé à 70 °C avec une hygrométrie de'± 30 %.
  • Le gommage des amandes a pour but de recouvrir les amandes d'un film et d'empêcher l'huile de migrer vers l'extérieur. Les amandes sont placées dans des turbines inclinées en rotation, et sont enveloppées à chaud de gomme arabique (acacia), de gomme-laque de blé ou des deux. Un repos de 24 heures est ensuite nécessaire pour que le gommage sèche.
  • Le grossissage consiste à recouvrir ces amandes gommées d'une fine couche de sucre vanillé. On utilise un sirop de sucre de concentration relativement élevée. Ce sirop est versé manuellement (à la louche) sur les amandes dans la turbine en mouvement. L'évaporation de l'eau est facilitée par une ventilation air chaud / air froid, pendant qu'un serpentin alimenté de vapeur complète le séchage. Le grossissage nécessite de 30 à 60 charges, suivant l'épaisseur recherchée.
  • La mise en couleur se fait à l'aide d'un sirop de sucre moins concentré et des colorants alimentaires autorisés.
  • Le lissage est l'étape finale destinée à donner aux dragées leur aspect de porcelaine et une surface parfaitement lisse avec des sirops de sucre aux concentrations décroissante.

Tradition 

La dragée a successivement été employée comme un médicament, comme un dessert précieux et comme un présent à offrir à l’occasion des grands événements. Aujourd’hui, on lance encore des dragées au-dessus des mariés à leur sortie de l'église afin de leur porter chance. L'amertume de l'amande alliée à la douceur du sucre symbolise les joies et les peines de la vie. On en offre également aux invités d'un mariage ou d'un baptême. La tradition veut que pour un mariage, 5 dragées soient offertes pour 5 vœux : fécondité, félicité, prospérité, santé et longévité. Le nombre impair symbolise également l’indivisibilité de l’union des mariés. 


Le musée



 


 


Le magasin d'usine








18/05/2022

Les verrières de l’église Saint-Martin (Brandeville)

Les 12 verrières de l’église Saint-Martin de Brandeville ont été réalisées par le maître-verrier Georges Janin de Nancy en 1929 et 1931. Elles représentent principalement des scènes religieuses (bibliques ou historiques). Deux d’entre elles rendent hommage aux soldats de la Grande Guerre. 


Evocation de la bataille de Brandeville
[À la mémoire des soldats de la garnison de Montmédy 29 août 1914]
À l'arrière-plan, la citadelle et l'église Saint-Martin de Montmédy*


La Sainte Famille 
[À St Joseph Une famille reconnaissante]


Jeanne d'Arc brûlée à Rouen en 1431 
[En souvenir de Clément Hucbourg et de Lucien Hucbourg morts pour la France 1929]
Ces deux soldats reposent dans le cimetière de la commune*

La révélation du Sacré-Cœur à Marguerite-Marie Alacoque
[En souvenir de l’abbé Vauthier 1879-1926]


Le baptême du Christ dans le Jourdain par Jean le Baptiste
[Offert par la paroisse 1931]


Le Christ remet les clefs à Saint Pierre
[Offert par la paroisse 1931]


Sainte Thérèse de Lisieux
[Je veux passer mon ciel à faire du bien sur la Terre 1931]


La Vierge de Pitié
[Offert par la famille Gérard-Robert 1929]


Saint Martin partageant son manteau
[Saint Martin protégez-nous B.A 1929]


Apparition de la Vierge à Bernadette Soubirous à Lourdes
[Offert parla paroisse 1929]


La mort de Saint Joseph
[Ad Majorem Dei Gloriam  C.T.  1929]
 


Notre Dame des Délivrances implorant le Christ 
de recevoir la dépouille mortelle d'un soldat en son saint Paradis
[Offert par la paroisse à ses enfants morts pour la France 1914-1918]


Carton pour l'évocation de la bataille de Brandeville
Mine de plomb, crayon rouge, fusain, estompe, encre brune sur papier bistre vernissé
Hauteur : 2,23 m - Largeur : 0,88 m

08/05/2022

L’explosion du 8 mai 1916 au fort de Douaumont

Les circonstances exactes de l’explosion qui coûta la vie à plusieurs centaines de soldats allemands qui occupaient le fort de Douaumont ce 8 mai 1916 restent encore aujourd’hui assez floues. L’un des témoignages les plus précieux nous provient du « Rapport sur la catastrophe de l'explosion au Fort de Douaumont » rédigé par le médecin-major allemand, le docteur Benno Hallauer.


Dans la semaine précédant le 8 mai, le docteur Hallauer est déjà dans la forteresse. Les Brandebourgeois doivent constamment se protéger des bombardements de l'artillerie française. Le rapport de Hallauer, indique que le 7 mai, un gros obus au chlore gazeux a pénétré dans un puits d'aération du fort. Le gaz se répand dans les couloirs du sous-sol, faisant de nombreux blessés. Hallauer organise les soins aux blessés, fait rapidement venir des bouteilles d'oxygène et se précipite pour rouvrir le conduit d'aération pour faire entrer de l'air frais. 


Vers 4h30 du matin le 8, alors qu'Hallauer pense en avoir enfin terminé avec son organisation de secours aux victimes du chlore gazeux et ses opérations d'urgence, il entend des cris de panique dans les couloirs. Hallauer entend alors des appels à l'aide et le cri terrifiant "Les Noirs arrivent!". Il court vers le dortoir pour réveiller les hommes quand il entend 3 terribles explosions. Hallauer entend la forteresse et ses voûtes grincer et trembler. Il ressent un redoutable souffle d'air qui secoue les salles et les couloirs de la forteresse. L'onde de choc projette toutes les personnes présentes dans le fort contre les murs avec force. Ces explosions sont beaucoup plus fortes que les impacts des coups directs d'artillerie normaux. 


Galerie menant à la nécropole allemande où les corps de 679 soldats allemands
sont toujours enfouis.


Alors qu'il retourne dans le couloir, un épais nuage de fumée et de vapeur de soufre le frappe, et il entend des gémissement terribles. Immédiatement, Hallauer ordonne de mettre les masques à gaz et de faire rapidement fonctionner les ventilateurs. Le bloc opératoire est entièrement rempli de fumée jaune. Parce que les couloirs sont pleins de fumée, l'orientation est devenue impossible. Alors que Hallauer continue de chercher les blessés dans les couloirs de la forteresse, il remarque que les gémissements s'éteignent progressivement. Alors qu’il fait transporter les blessés, l'air se remplit soudainement d'un brouillard de gaz dense, appuyant fortement sur les poumons. Malgré l'apport supplémentaire d'air frais, le gaz affecte de plus en plus la qualité de l'air. Les masques à gaz fonctionnent encore mal.



A LA MÉMOIRE DE 679 SOLDATS ALLEMANDS[...] QUI FURENT TUÉS 

EN CE LIEU - LE 8 MAI 1916 DANS L'EXPLOSION D'UN DÉPÔT DE 

MUNITIONS, LE FEU INCESSANT DE L'ARTILLERIE  FIT QU'ON NE PUT 

LES INHUMER TOUS HORS DU FORT. 

C'EST ICI QUE REPOSENT LA PLUPART D'ENTRE EUX.

 

Lorsque Hallauer est de retour à la table d'opération un instant plus tard pour aider les blessés, il devient lui aussi étourdi. Deux sous-officiers l'emportent par un puits d'aération et il finit par reprendre connaissance. Immédiatement après, Hallauer retourne dans la forteresse, où il voit plusieurs centaines de jeunes recrues flâner apathiquement. Les recrues, arrivées la nuit dernière traînent sous le choc au milieu d'innombrables morts, blessés, "étourdis, et certains dérangés mentalement". Les couloirs sont pleins de décombres et de morts : « Les bras, les jambes et les troncs gisaient entre le matériel de guerre détruit ». La pression des explosions a, par endroits, chassé les cadavres, "comme un canon de fusil", dans les couloirs et empilés les uns sur les autres en quatre couches le long des murs. Dans un certain nombre de dortoirs, Hallauer trouve encore des survivants somnolents. Lors de l'extraction des blessés des décombres, plusieurs médecins et infirmières sont également intoxiqués par le gaz et 9 porteurs et un médecin sont tués. Peu de temps après les explosions, le chef de la compagnie envoie des hommes pour aider le médecin à soigner les blessés, dégager les cadavres et les décombres, et à continuer à défendre la forteresse. Ces hommes parviennent tout de même à sauver 120 blessés par respiration artificielle ou en les emmenant à l'air libre.





Conclusions de Hallauer sur la cause


Deux jours après l'explosion, Hallauer conclut dans son rapport que la cause de la série d'explosions est due aux soldats, qui ont probablement secrètement utilisé de l'huile de lance-flammes pour faire bouillir leurs marmites. Ils l'ont fait dans un couloir où s'entassaient des centaines d'obus français de 155 et de mines de gaz allemandes. Selon Hallauer, il est très probable qu'un de ces appareils de cuisson ait pris feu, accompagné d'une grande quantité de fumée et de suie. Vraisemblablement, quelques soldats ont été immédiatement brûlés. De nombreux hommes ont eu de la suie sur le visage en conséquence. Ces visages pleins de suie ont de nouveau semé la panique chez les autres soldats : "Les noirs arrivent !".

Ces soldats apeurés, surtout des jeunes recrues, pensaient être pris en embuscade par les troupes coloniales françaises, réputées cruelles. Ces soldats, dans leur panique, ont commencé à lancer des grenades à main au hasard, qui ont ensuite fait exploser les grenades françaises déjà présentes et les mines de gaz allemandes, déclenchant une réaction en chaîne d'explosions.

Parce que la panique avait déjà eu lieu avant les trois grosses explosions, certaines personnes présentes dans le fort envisageaient encore que l'explosion provenait d'une grande mine souterraine française. Mais deux jours plus tard, Hallauer met en doute de cette version dans son rapport, car normalement l'explosion d'une mine aurait dû être suivie d'une "attaque-tempête" par les Français. 

 

Hallauer estime dans son rapport que 700 à 800 ont été tués, dont un grand nombre d'officiers. Le médecin n'ose pas donner un chiffre plus précis, car selon lui il ne sera plus jamais possible de le déterminer à cause des énormes effondrements. Il rapporte que la principale cause de décès est la pression atmosphérique, qui a tué la plupart des hommes immédiatement. Certains ont été projetés à nouveau sous la pression, et d'autres, qui se trouvaient à proximité de l'explosion, ont été tués par la chute de débris et d'éclats d'obus. Des soldats ont également été brûlés par de l'huile de lance-flammes. De nombreux soldats ont étouffé à cause d'un empoisonnement par la fumée ou de l'inhalation du gaz toxiques que Hallauer ne peut pas identifier malgré les autopsies réalisées. Un officier, qui menaçait de suffoquer à cause des gaz, s'est tiré une balle dans la tête avec un revolver.


Sculpture en bronze du père Franz-Josef Ludwig "Der Abschied - Les Adieux" offerte
par la ville de Rheinbach à l'occasion des 50 ans du Traité de l'Élysée (1963-2013).
 L’artiste dédie cette œuvre aux familles de toutes les nations ayant partagé un destin
tragique lors des guerres du XXe siècle.
 
Il est à noter que le docteur Hallauer était de confession juive. Malgré son dévouement pour sauver des dizaines de vies de ses compatriotes ce jour-là, il disparaitra à Auschwitz en 1943.