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05/01/2023

Le portail de l’église de Mont-devant-Sassey

Le portail sud de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption de Mont-devant-Sassey est considéré comme le portail gothique (XIIIe siècle) le mieux conservé en Lorraine. L’intérêt suscité pour ce joyau architectural ne semble pourtant dater que de la fin du XIXe siècle.



Pour la description du portail, nous utiliserons l’article rédigé en 1991 par Hubert Collin dans « Congrès archéologique de France » / gallica.bnf.fr


« L'église de Mont est certes connue pour ses parties romanes mais son portail n'est pas de médiocre intérêt en dépit de son mauvais état de conservation comme on va le voir. Le portail s'ouvre sur un côté de l'église, ici le côté sud, selon le dispositif si classique en Lorraine et dont les cathédrales elles-mêmes (Verdun, Metz) ont donné l'exemple. Le portail de Mont est gothique. Son ornementation sculptée, en particulier le décor des chapiteaux, permet de le dater du XIII° siècle avancé. La sculpture s'apparente à l'art de la cathédrale de Reims, mais le style des grandes statues, qui est archaïque et malaisé, est celui d'un atelier « provincial », pour employer le terme consacré par l'usage, quoique impropre.




Le porche 

En avant du portail s'élève un porche, formant comme une loggia. Le porche est un édicule octogonal, couvert d'ardoises, avec un gracieux portail extérieur à colonnes ioniques portant un fronton en segment d'arc. Il date de 1754. Il est dû à un architecte de Verdun nommé François Wadelaincourt. Il portait autrefois les armoiries des Condé, seigneurs du pays. Il est fort probable que ce porche servit jadis d'auditoire de justice. […]

La construction du porche couvert est postérieure de près de 5 siècles à celle du portail sculpté

Le porche proprement dit est, vu de l'intérieur, un édifice cherchant à imiter le gothique ancien. Il a pour couvrement une voûte à ogives rayonnantes. Les ogives prennent appui, dans les angles, sur des faisceaux de trois colonnettes à bagues. L'édifice peut faire illusion sous le rapport de l'ancienneté, mais il n'est pas antérieur au porche extérieur. A l'origine, il devait exister là, non un édifice en pierre mais un édifice en bois. De tels porches, destinés à protéger le portail des intempéries et à donner quelque abri aux paroissiens, ne sont pas rares. 


Mais lorsqu'on examine le portail de Mont, on constate qu'à plusieurs endroits, les pierres sont rougies par le feu. Il y a même certaines parties qui ont tellement souffert de la violence des flammes que les pierres, ainsi que les reliefs qu'elles portaient, ont éclaté. Selon toute vraisemblance, le porche de bois ayant existé ici a été la proie d'un incendie, et c'est celui-ci qui est responsable des dégâts causés aux sculptures. Il est même probable que c'est lors du siège de 1653 que le sinistre a été consommé. La statue du trumeau ayant été victime de l'accident, on peut se demander par quel miracle les deux vantaux du portail, qui paraissent du XVe siècle, voire du XIVe, ont pû demeurer intacts. Avaient-ils été déposés auparavant, comme trop faciles à défoncer ? 

Le portail 

Au rez-de-chaussée, il y a une petite arcature aveugle dont les colonnettes se dressent sur un stylobate où l'on peut s'assoir. L'arcature inférieure, de petites dimensions, est richement ornée : monstres, têtes grimaçantes et animaux dans les écoinçons, chapiteaux gothiques à feuillage et à crochets, bases à moulures aplaties, en « assiettes retournées ».

Arcature orientale 

Arcature occidentale

Sous les grandes statues, les arcatures sont décorées de petits-bas-reliefs
aux motifs païens (chouette, masques grimaçants, dragon ailé).

Au-dessus, dans des niches à dais architecturaux, on trouve des statues debout au nombre de cinq de chaque côté ; quatre dans les niches et une cinquième à l'extérieur, en bout de rangée, adossée aux colonnettes recevant l'archivolte et les ogives. 

Dais architecturaux constitués d’une frise de tours et de maisons

Ébrasement gauche et ébrasement droit

Le tympan 

Le tympan se divise lui-même en quatre registres horizontaux. Il porte lui aussi une iconographie intéressante. Le registre inférieur montre une Nativité, scène dissimulée en partie par une tenture. On distingue à droite l'Enfant-Jésus couché dans la crèche et, à l'extrémité, un personnage mutilé qui dut être un ange thuriféraire. Le registre médian présente, de gauche à droite, la Fuite en Égypte, l'Adoration des Bergers et l'Annonce aux Bergers ou l'Adoration des Mages, scène mutilée. Au registre supérieur, on ne distingue plus, à gauche, qu'un Massacre des Innocents, puis une scène détruite où Léon Germain de Maidy proposait de reconnaître le Miracle du champ de blé. Tout en haut, dans une niche, sous la clef de l'arc, il y a un personnage couronné, assis en tailleur par manque de place pour un trône plus conforme à sa dignité : c'est le roi Hérode qui régnait sur la Judée et qui, voyant dans le Christ un futur compétiteur éventuel à la royauté sur les Juifs, chercha à le faire mourir en ordonnant le massacre des Innocents.

Le tympan comporte quatre registres consacrés au cycle de l’Enfance du Christ.
Malheureusement, le tympan a souffert du temps et certaines scènes sont incomplètes,
ce qui rend l’identification parfois incertaine.
La Vierge couchée dissimulée par une énigmatique tenture/teinture rouge
L’Enfant Jésus dans la crèche accompagné du bœuf et de l’âne
L’Adoration des Bergers
La Fuite en Égypte
Le Massacre des Innocents

Les grandes statues

Nous avons évoqué leur gaucherie, mais leur intérêt iconographique est grand, leur signification collective d'un intérêt plus grand encore. Du côté droit se présentent d'abord Ève et Adam, demi-nus, avec des vêtements de feuillage, dans une attitude penaude qui sied à ceux que l'Archange vient de chasser du Paradis terrestre. Ensuite vient un Moise, porteur des tables de la Loi, en robe plissée, avec de part et d'autre du front les « cornes » de lumière qu'on s'attend à trouver chez le fondateur de la loi. Le personnage suivant est Abraham, les yeux au ciel, attendant l'ordre de sacrifier son fils Isaac debout devant lui, sur un bûcher non allumé. En bout de rangée se tient Noé, devant le feu du sacrifice offert après le Déluge. 

Ébrasement droit (de gauche à droite) : Ève (1), Adam (2), Moïse (3),
Abraham et Isaac (4), Noé (5)

Ève et Adam
La représentation de Moïse cornu viendrait d’une mauvaise traduction latine
du texte hébreux où le mot rayonnant aurait été traduit par cornu. 
Isaac, pieds et poings liés, est juché sur l’autel de l’holocauste.

Au premier plan, l’autel de l’holocauste préparé pour le sacrifice d’Isaac.
Au fond, Noé élève un autel à la gloire du Seigneur et y immole certains animaux purs
que l’on voit périr au milieu des flammes.
Sous la console est représenté un homme avec un oiseau.
Cet homme, aujourd’hui acéphale, est Noé qui sort pour juger du niveau des eaux
par la fenêtre qu’il a aménagée dans l’arche, comme il est écrit dans la Genèse.
L’oiseau n’est autre que la colombe envoyée par Noé pour voir si les eaux avaient
diminué à la surface de la terre. 

Du côté gauche, on voit d'abord une statue de la Vierge, la nouvelle Ève faisant pendant à l'ancienne. On trouve ensuite l'Archange Gabriel, celui qui fut le messager de l'Annonciation. Le troisième personnage doit être un Siméon ou un Zacharie [Marie Lekane y voit plutôt le prophète Isaïe], le quatrième un prophète Isaïe ou un saint Jean l'Évangéliste [Marie Lekane y voit plutôt le prophète Jérémie], à cause des tablettes d'écriture portées par lui. Le cinquième personnage enfin, un homme barbu, vêtu d'une toge plissée, portant une banderole et une église d'où s'échappe un cours d'eau, est le prophète Ézéchiel. Nous devons son identification à la sagacité de M. Léon Pressouyre.

Ébrasement  gauche  (de  droite  à  gauche) :  scène  de  l’Annonciation (6 et 7)  
Isaïe ? (8) , Jérémie ? (9) , Ézéchiel (10)

Marie lors de l’Annonciation. Elle laisse apparaître sur son visage un sourire,
typique des Vierges de l’Annonciation et lié à l’annonce de la bonne nouvelle.

L’archange Gabriel

La maquette de l’édifice portée par le personnage et le flot
d’eau qui en jaillit ont permis d’identifier le prophète Ézéchiel


Un érudit local, Jeantin, avait jadis identifié l'inconnu avec Pépin de Laden, fondateur de l'abbaye d'Andenne, par l'intermédiaire de sa fille Begga (sainte Begge). Pourtant, l'eau s'échappant d'un temple avait de quoi alerter tous ceux qui connaissent un tant soit peu la liturgie du Temps pascal. Léon Pressouyre a su rétablir la vérité, dans sa splendeur éclairante.

Nous sommes en présence ici d'une figuration de la vision d'Ézéchiel, l'eau sortant du Temple. Pour saint Jérôme, cette eau salutaire était la doctrine du Christ. C'était aussi une allusion au baptême. Pour Rupert de Deutz, la vision d'Ézéchiel était prophétique. Elle symbolisait l'eau sortant du côté du Christ. L'Église étant le corps mystique du Christ, l'eau était celle de la Rédemption par le baptême. […] Et Léon Pressouyre de conclure en ajoutant que l'arche de Noé était le type même du symbole de la Rédemption baptismale, dès les premiers temps du christianisme.

De part et d'autre de l'entrée du porche, à l'intérieur, deux statues placées dans des niches complètent la série des statues du portail. L'une représente le roi-prophète David, couronné et tenant un livre ouvert. L'autre personnage est reconnaissable à la verge qu'il tient : c'est le prophète Aaron.

Le roi David soutient un livre ouvert de ses deux mains
(probablement le livre des Psaumes)
Le prophète Aaron tenant la Verge fleurie, 
symbole de l’enfantement du Christ par la Vierge

Nous avons dit que la statue du trumeau avait disparu. Il n'en reste que l'auréole, sous le dais architectural qui couronnait le tout. Que représentait la statue ? En bonne logique, ce devait être une statue de Notre-Dame, puisque l'église de Mont est placée sous l'invocation de la Vierge.

Le trumeau était probablement orné d’une Vierge en pied.
Les portes en bois d’origine datent du XIVe siècle.


Les voussures


Les claveaux des quatre arcs s'ornent d'une série de petits personnages assis ou debout. Une moitié d'entre a été détruite par le feu. Un examen rapide permet de reconnaître parmi eux des personnages choisis au sein des Douze Apôtres et des Évangélistes. On reconnaît aussi certaines scènes tirées de l'Écriture sainte. L'archivolte elle-même est décorée de rinceaux et de fleurs. »

Les voussures rougies par le feu probablement au XVIIe siècle 




Pour compléter cette description rédigée par Hubert Collin en 1991, prenons le temps de lire un extrait de l’étude réalisée par Marie Lekane en 2012 concernant la  lecture globale du portail de l’église de Mont-devant-Sassey.

« Avant toute chose, nous devons insister sur la concomitance de réalisation et de mise en place des statues. En effet, des caractéristiques communes ont pu être dégagées de l’ensemble. Au terme de cette étude iconographique, il apparaît dès lors que le programme iconographique de l’église de Mont-devant-Sassey est unitaire et réfléchi. La lecture typologique justifie la présence des personnages de l’Ancien Testament par leur lien avec le Nouveau. Ce lien est déterminant dans la compréhension de la présence des prophètes de l’Ancienne Alliance. Les couples d’Adam et Ève et de l’Annonciation sont spatialement liés et leur opposition symbolique est connue : Marie est la nouvelle Ève et son Fils, matérialisé au tympan, rachète le péché originel. Cette opposition symbolique constitue le pivot de la lecture typologique, le noeud sémantique du portail montois. Ézéchiel et Noé sont également placés en vis-à-vis ; tous deux préfigurent le sacrement du baptême.

De  la  même  manière,  les  personnages  de  l’ébrasement  droit répondent à la logique typologique. Moïse préfigure à la fois le Christ et saint Pierre. Il symbolise l’Ancienne Loi que Jésus n’abolit pas mais accomplit. Les correspondances typologiques établies entre les épisodes de la vie de Moïse et de Jésus sont nombreuses. Le serpent d’airain perché est le symbole de l’élévation du Christ sur la croix. L’offrande par Abraham de son unique fils préfigure l’immolation de Jésus sur la croix par son Père. Dans les deux cas, il y a consentement du sacrifié. Noé préfigure également le sacrifice du Christ. Il offre à Dieu des animaux et des oiseaux purs. Cet holocauste rétablit le contact entre Dieu et les hommes. En considérant que la statue disposée aujourd’hui dans la niche occidentale représente le roi David, ce personnage revêt également un sens christologique important, car il est non seulement une préfigure du Christ, mais également son ancêtre direct. Les présences combinées de Moïse, d’Abraham et de Noé évoquent la rédemption par le sacrifice de la croix. Les quatre scènes de sacrifice des voussures consolident la vision anagogique du sacrifice du Christ pour la Rédemption de l’Humanité.

À l’ébrasement gauche, sans que les identités des statues soient certaines, il est tout à fait possible qu’elles accompagnent et amplifient la scène de l’Annonciation. Ainsi Aaron et Ézéchiel sont-ils connus pour être des annonciateurs de la maternité virginale de la Vierge. La sacralité et la virginité de la Vierge sont aussi mises en exergue au tympan, dans la mise en scène peu commune de la Nativité. Les apôtres et les évangélistes des voussures sont des témoins de la vie, du Ministère et de la divinité du Christ. Ainsi, malgré les nombreuses représentations de la Vierge, il ne s’agit pas d’un programme mariologique, étant donné que  ce  ne  sont  pas  des  épisodes  de  la  vie  de  Marie  qui  sont  mis  en évidence.  Mais  Marie  constitue  le  « réceptacle  du  Christ »  et  le  pivot entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance. »

 L’heure de l’interro

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Sources et bibliographie