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07/12/2022

La Tranchée des Baïonnettes

La Tranchée des Baïonnettes, initialement appelée « tranchée des fusils », est sans doute le site mémoriel du champ de bataille de Verdun le plus controversé. Né à partir d’une légende, certains le considèrent comme une imposture indigne, d’autres comme un site incontournable rendant hommage à tous les Poilus disparus durant la Grande Guerre.

La Tranchée des Baïonnettes et la stèle du 137° R.I.


Les faits historiques 


Le 9 juin 1916, vers 19h, le 137° régiment d'infanterie de Fontenay-le-Comte (Vendée) quitte la citadelle de Verdun pour rejoindre le front et tenter d'empêcher l'ennemi de franchir la première ligne française. Là, déployés sur le versant nord du ravin de la Dame, deux bataillons de cette unité composée en grand nombre de Vendéens et de Bretons, sont écrasés par le feu de l’ennemi en tentant de tenir ce secteur. 
Autour de ce monument, situé à 500 m au nord de la nécropole nationale et de l'ossuaire de Douaumont, différents récits sur ce combat s'entrecroisent. Depuis la fin de la guerre, la vérité de ces faits d'armes des Bretons et des Vendéens du 137° RI a été magnifiée et la réalité des combats modifiée. 

Pour certains, il s'agirait d'hommes qui, s’apprêtant à franchir le parapet de la tranchée, ont été ensevelis vivants par l'explosion d'un obus allemand. La terre n’aurait alors laissé dépasser que les pointes des baïonnettes de ces valeureux soldats morts debout face à l’ennemi. 

Pour d'autres, il s'agit d'une fosse commune où sont ensevelis, au terme des attaques, les restes mortels des soldats français. De cet épisode glorieux écrit par ces hommes sont nées l’histoire et la mémoire de la Tranchée des Baïonnettes.

Deux bataillons décimés


Dans la nuit du 9 au 10 juin, le lieutenant, colonel Gauthier, commandant le 137° RI, atteint le PC 119, sur la cote de Froideterre, où il se rend compte immédiatement que la situation des bataillons à relever et des plus délicates. En effet, ces positions situées à contre-pente du Ravin de la Dame s’avance vers la ferme de Thiaumont, dominée par l’ennemi installé plus au sud. Par ailleurs, l’observation et la liaison avec l’artillerie restent défectueuses. Enfin, l’aile droite de son dispositif, occupée par les deux bataillons désignés, est à découvert sur plus de 500 m. Pour autant, le colonel maintient son ordre et engage la relève pour organiser un secteur battu par un déluge de feu et d’acier. 

Les officiers du 1er Bataillon du 137° R. I.

(Photographie prise le Ier mai 1916) : 1 Commandant Denef (tué). 2 Lieutenant de

Kainlis (tué). 3 Lieutenant de la Bruchellerie (tué), 4 Lieutenant Grenier (tué). 

5 Lieutenant Conte (blessé), 6 Lieutenant Foucher (blessé), 7 Capitaine Lambert, 8 Lieutenant Debroise. 

9 Lieutenant Guignaux. 10 Lieutenant Caillon (blessé).

Source : Le Monde illustré du 11 décembre 1920


À l’aube du 10 juin, le 1er bataillon conduit par le commandant Denef et le 3e bataillon du commandant Dreux remplacent les hommes des 93e et 337e RI. Entre le boyau, Le Nan et l’ouest de la tranchée Genet, les fantassins s’abritent dans une succession de trous d’obus. Cette position des plus sommaires est aménagée à la hâte. Malgré des renseignements obtenus de prisonniers et la concentration de pièces d’artillerie allemande, signifiant l’imminence d’une attaque, la mission du 137° RI n’est pas modifiée. L’objectif est d’occuper et de défendre un secteur essentiel à l’organisation du front. Le 11 juin, le bombardement ennemi s’intensifie. Pendant 10 heures, les Français sont soumis à un feu permanent. À 19h, le bataillon Denef a perdu près de la moitié de ses effectifs et le bataillon Dreux enregistre 30 % de pertes. Le pilonnage se poursuit toute la nuit et les hommes se protègent comme ils peuvent. Le soldat Pierre Penisson témoigne : « Les obus tombent jusque dans la tranchée, causant de nombreux blessés. C’est un enfer épouvantable. Certains hommes sont debout, mais beaucoup sont à genoux pour se préserver des éclats d’obus ».

Le 12 juin à 6h, un premier assaut allemand, venant du Nord, est lancé entre l’abri 320 et le bois de Nawé : il est repoussé par le tir de quelques mitrailleuses. Débouchant de la ferme de Thiaumont, un second assaut est stoppé, au cours duquel le commandant Denef meurt dans la défense de son PC. À 7h, les Bavarois poursuivent leurs efforts. Progressant méthodiquement de trous d’obus en trous d’obus, ils attaquent à la grenade, mais ils sont encore arrêtés. Soutenu par le feu de son artillerie, l’ennemi, renouvelle l’assaut, s’infiltre et prend à revers les Français. Au milieu de l’enfer et du chaos, Dreux et Denef, isolés et privés de munitions, sont progressivement submergés. Après 24 heures d’effroyables bombardements, « coupés de l’arrière par un barrage, vraiment infranchissable sur le revers sud du ravin de la Dame, ces deux bataillons ont été écrasés sur place et les débris [d’unité] faits prisonniers. Le lieutenant-colonel Gauthier n’a revu de ses deux bataillons qu’un sous-officier et un homme de rang. Les jours suivants, les combats perdent en intensité. Le 137° RI a perdu 37 officiers, 133 sous-officiers et 1387 soldats.


Le monument provisoire de la Tranchée des Baïonnettes


En décembre 1918, parcourant le champ de bataille, l'abbé Ratier, brancardier en 1916 du 137° RI, aperçoit sur la crête de Thiaumont, sortant de terre, quelques canons de fusils. En réponse à cette étrange découverte, le commandant du régiment fait ériger un petit monument commémoratif surmonté d’une croix. La presse locale se passionne pour ce lambeau de «terre sacrée », ou les « morts montent la garde ». Très vite, au fil des récits, les fusils disparaissent au profit des baïonnettes, armes blanches plus évocatrices de l'horreur des combats auprès d'une opinion publique émue par de tels faits. Ce monument régimentaire, seul dans ce pays dévasté, attire alors l'attention des pèlerins, en particulier celle d'un banquier américain, George T. Rand. Ému par la force et la solennité de ce lieu, il offre 500 000 F pour faire ériger un monument dédié aux héros de Verdun. Il est aujourd’hui le plus ancien monument du champ de bataille de Verdun.

Monument aux morts du 137e régiment d'infanterie à Thiaumont (1919) - gallica.bnf.fr


L’inauguration de la Tranchée des Baïonnettes


(Article de presse paru dans le Télégramme des Vosges du jeudi 9 décembre 1920) - Aux héros de la Tranchée des Baïonnettes - Un hommage national - Le président de la République inaugure le Monument.  

Alexandre Millerand
Wikimedia Commons 
Le Président de la République a quitté Paris ce matin, à 8 h. 40, pour Verdun, où il va inaugurer le monument élevé aux environs de Douaumont, à la « Tranchée des Baïonnettes ». Les honneurs militaires lui ont été rendus à la gare. Le Président a été salué par MM. Maginot, Hugh Wallace, ambassadeur des Etats-Unis; les maréchaux Joffre et Foch qui accompagnent le Président dans son voyage, et par M. Steeg, ministre de l'intérieur. Le wagon dans lequel a été signé l'armistice avait été attaché au train présidentiel. Au cours du voyage, il a été remis à M. Millerand par M. Noblemaire, directeur de la Compagnie P. L. M.
A l'Hôtel de Ville - Au Cimetière  - Verdun - Le train présidentiel entre en gare. M. Millerand passe en revue le bataillon du 132°, qui rend les honneurs, puis, accompagné de l'ambassadeur des Elats-Unis et des sénateurs et députés de la Meuse, le cortège présidentiel quitte la gare pour se rendre à l'Hôtel de Ville. Sur tout le parcours, la population fait un accueil chaleureux au chef de l'Etat. À l'Hôtel de Ville, les présentations d'usage ont lieu. M. Millerand remet la croix de la Légion d'honneur à M. Schleiter, adjoint au maire. Le maréchal Foch remercie les membres de la famille de M. Rand, à qui l'on doit le monument que l'on va inaugurer aujourd'hui.

Le cortège présidentiel gagne ensuite le cimetière du faubourg Pavé. MM. Millerand et Hugues Wallace déposent des palmes. Le Président de la République, après une courte visite au cimetière, se rend ensuite avec son escorte au monument de la Tranchée des Baïonnettes. Une compagnie du 132°, avec drapeau, rend les honneurs.

Le Bulletin de la vie artistique du 15 juillet 1920 - gallica.bnf.fr

Le récit officiel du lieutenant Foucher, commandant la 4° compagnie du 137°, à la « Tranchée des Baïonnettes », explique ainsi, dans un rapport que publie l'Intransigeant », comment se forma la tranchée:

« La « Tranchée des Baïonnettes» se trouve à cheval sur la droite de la 3° compagnie et sur la gauche de la 4° compagnie. Voici comment elle a été formée. Le 11 juin 1916, au matin, un violent bombardement de pilonnage se déclenche et dure toute la journée et une faible partie de la nuit. C'est pendant le cours de cette journée du 11 que les obus (150, 210 et plus gros) ont donné l'aspect retrouvé plus tard de la « Tranchée des Baïonnettes ».

Les hommes attendaient l'attaque avec le fusil, baïonnette au bout, mais cette arme était appuyée au parapet à portée du combattant, qui avait dans ses mains des grenades, prêt à repousser d'abord à la grenade l'attaque probable.

Les obus, tombant en avant, en arrière et sur la tranchée, rapprochèrent les lèvres de cette dernière ensevelissant nos vaillants Vendéens et Bretons. C'est par le fait qu'ils n'avaient pas à la main le fusil qu'il s'est trouvé que les baïonnettes émergeaient après l'écroulement des terres.

Dès ce soir-là, le 11 juin 1916, la tranchée avait l'aspect que l'on a retrouvé à l'armistice.

Discours de l'ambassadeur des États-Unis (extraits)

L’ambassadeur des Etats-Unis
Hugh Wallace - gallica.bnf.fr
M. Hugh Wallace prend le premier la parole : « Grande est la gloire de la France, dit-il, car elle peut revendiquer Verdun comme son propre bien. Immense est la dette de reconnaissance qu'elle y imposa au monde, car à Verdun elle fut seule à affronter les Barbares. La Victoire qui une fois de plus a sauvé ici la civilisation est la sienne, et nul autre ne peut en réclamer la moindre part. Une pareille dette ne saurait être acquittée, et ce que nous faisons n'a d'autre objet que de la reconnaître. Ce monument vient d'Amérique. En qualité de représentant de ce pays, je le consacre comme symbole de cette gratitude que notre amitié nationale rendra éternelle. »

Discours de M. Millerand (extraits)

L’inauguration du 8 décembre 1920
gallica.bnf.fr
M. Millerand répond en ces termes à l'ambassadeur des Etats-Unis : «La Tranchée des Baïonnettes ! Quel symbole plus saisissant de la résistance indomptable opposée par le soldat français à l'armée allemande ! C'est la synthèse même de la bataille de Verdun. Le monument si grand, si impressionnant dans sa simplicité que l'on inaugure aujourd'hui, montre une fois de plus la force et l'intimité des liens qui réunissent l'une à l'autre les républiques américaines et françaises. Il signifie la continuité dans la paix de l'entente scellée dans les épreuves de la guerre.

Au lendemain de la bataille, il reste à consolider et à développer les résultats de la Victoire.

La France est de toute son âme attachée à la paix. Parler de son impérialisme, c'est spéculer sur l'ignorance des uns et sur la mauvaise foi des autres.

Saignée à blanc par une guerre dont elle a supporté le poids le plus lourd, elle ne réclame rien que les justes réparations que l'ennemi et ses alliés lui ont promises. Pour les obtenir, elle sait que l'amitié des Etats-Unis ne lui fera pas défaut.

Devant la tombe de soldats français ensevelis vivants et armés dans leur sublime sacrifice, devant le monument édifié sur cette tombe par la piété de leurs frères d'armes américains, rappelons-nous l'engagement sacré des Lafayette et des Washington. L'union de la France et des Etats-Unis ne manquera jamais à la cause de la liberté et de la civilisation. »

Le retour à Verdun

La musique militaire joue l'hymne américain et la «Marseillaise». Le président de la République fait le tour du monument, puis le cortège repart à 14h50 pour le fort de Vaux.

Le président Millerand et l’ambassadeur Wallace
gallica.bnf.fr
Inauguration du 8 décembre 1920 - gallica.bnf.fr
On reconnaîtra les maréchaux Joffre et Foch, le sénateur Poincaré
La Tranchée des Baïonnettes en 1920 - gallica.bnf.fr


La Tranchée des Baionnettes, « une histoire trop belle pour ne pas devenir légendaire »


Depuis un siècle, les histoires concernant ces quelques canons de fusils émergeant du sol ont suscité plusieurs interprétations. Commentées par de nombreux historiens, par les survivants ou par les journalistes, plusieurs versions des faits se sont succédé au fil du temps. Des ses origines, l'histoire se mêle intimement au mythe, entraînant d'importants débats.

Pour les uns, il s'agirait d'hommes qui, s'apprêtant à franchir le parapet de la tranchée, auraient été ensevelis vivants par l'explosion d'un obus allemand. La terre n'aurait alors laissé dépasser que les pointes des baïonnettes de ces valeureux soldats morts debout face à l'ennemi. Les morts montent ainsi la garde dans la tranchée dévastée. L'explosion d'un obus excavant plus le sol qu'elle ne le comble, très vite cette histoire est apparue comme impossible.

Pour les autres, au terme de ce combat au cours duquel les bataillons engagés ont perdu 30 à 50 % de leur effectif, les Allemands ont inhumé les corps des victimes dans les vestiges de la tranchée puis auraient utilisé les fusils français pour délimiter le périmètre de ce cimetière improvisé. En effet, les rapports de fouille de juin 1920 confortent cette hypothèse. Avant l'édification du monument, le service du génie relève 21 corps. Le fait que tous soient allongés et désarmés confirme les témoignages recueillis.

Les quatorze corps identifiés sont transférés au cimetière provisoire de Fleury, les 7 inconnus sont inhumés sous l'imposante dalle de béton de la tranchée.

Indéniablement conçue par des Français de l’arrière, la mémoire de ce fait d'armes est aujourd'hui encore discutée. La plus récente des hypothèses est que ce premier écrit aurait permis de dissimuler le nombre de soldats capturés en juin 1916 par les Allemands, alors que cette unité s'était dès 1914, illustrée sur le champ de bataille.


Extrait du quotidien Ouest-France du 2 août 2014

Lucien Polimann vers 1933
Wikimedia Commons 
Au début des années 1930, le mystère semble levé lorsque le lieutenant Lucien Polimann se décide à témoigner.

Ce 12 juin 1916, il commande encore une soixantaine d'hommes du 137° RI. Les munitions sont épuisées. Plus de vivres. Plus d'eau. Le lieutenant se résout alors à demander la reddition de son régiment. Les Allemands acceptent. 

Recevant l'ordre de déposer leurs armes, les poilus rescapés alignent leurs fusils à la verticale sur la paroi de la tranchée et se rendent. « Une sorte de dernier hommage à leurs frères d'armes dont les cadavres en jonchent le fond », note Jean Rousseau dans son ouvrage 14-18, les Poilus de Vendée. 

Pendant des mois. les obus et les intempéries comblent ce qui va devenir la fameuse Tranchée des baïonnettes. On est bien loin de la légende « des guetteurs du sol de France morts pour la France ». Elu député de la Meuse, le lieutenant Polimann n'aura pas le coeur de rétablir la vérité historique.  « L'histoire, explique-t-il beaucoup plus tard, était bien trop belle pour ne pas devenir une légende. »


Jean Norton Cru dans « Du témoignage » publié en 1930


« Cette légende ne trouve place dans aucun récit de combattant, elle ne semble pas avoir existé pendant la guerre. Elle fut créée par les premiers touristes civils ou militaires, visiteurs du front. Voyant la rangée des baïonnettes qui émergeaient du sol, ils n’en comprirent pas la signification et en fabriquèrent une conforme aux notions absurdes qu’ils avaient de la bataille. La découverte des ossements dans la tranchée comblée les confirma dans leur merveilleuse invention. Ils ne savaient pas qu’il y en a tout le long du front, dans les mauvais secteurs, de ces tranchées comblées qui sont des fosses communes de Français et d'Allemands. Enterrer les morts, amis ou ennemis, est un devoir, mais avant tout une nécessité. Un segment de tranchée non utilisé offre la tombe la plus pratique; pour la marquer, les fusils abandonnés sont les objets les plus faciles à trouver. 

Voici les faits historiques sur lesquels la légende est venue se greffer après la guerre. Le 12 juin 1916 la 3e et la 1e compagnie du 137e de Fontenay-le-Comte (21e division, 11e corps) prennent position sur les pentes sud-est de Douaumont. Elles subissent une violente attaque qui submerge leurs tranchées : des hommes sont tués, d'autres sont pris, d'autres s'échappent. 

Les Allemands, maîtres du terrain, rassemblent les cadavres dispersés, les placent dans un élément de tranchée vacant, plantent des fusils le long de la fosse et la comblent. C'est tout. Tout le reste est légende et ne supporte pas l'examen. Les obus sont incapables de combler une tranchée comme est comblée une tombe, car ils creusent autant qu'ils comblent, et la loi de la dispersion leur interdit de creuser sur une même ligne afin de pouvoir combler une autre ligne. La légende exige un miracle, elle veut que les obus, désobéissant pour une fois à la loi de la dispersion, soient tombés tous rigoureusement à un mètre en avant du parapet en épousant les sinuosités du fossé. Mais cette merveille ne suffit pas car il reste à expliquer pourquoi les poilus se sont laissé graduellement enterrer. Sous le feu, le soldat n'est pas strictement attaché à son poste comme la sentinelle à la caserne. Il a la latitude de se déplacer et, dans les pires secteurs, cette latitude n'a d'autre limite que le sens du troupeau qui garde une section relativement groupée : tel préfère s'abriter dans la tranchée mal faite et peu creuse, tel préfère la protection qu'offrent les trous d'obus. Si la tranchée devient intenable, tout le monde s'égaille dans les trous d'obus. Dans ce cas, que devient la vraisemblance du tableau héroïque ? 

Comment admettre que ces hommes soient restés rangés, debout, baïonnette au canon, laissant la terre leur monter de la cheville au genou, à la ceinture, aux épaules, à la bouche...? »

Commentaire de Jacques Péricard dans son ouvrage « Verdun, 1914-1918  »


« Mais, dira-t-on, que reste-t-il de la légende ? Ce qu'il en reste ? Tout. Que voulait prouver la légende, si légende il y a ? La ténacité indomptable des défenseurs de la tranchée. Par ce que nous avons dit des hauts faits de ces hommes, cette ténacité n'est-elle pas établie sur des bases assez solides? Que désirer de plus que cette réédition magnifique des Dernières Cartouches ? 

Il est une autre réflexion sur laquelle nous nous permettons d'attirer attention d'une façon toute particulière. 

Les étrangers qui ont élu la tranchée, devenue la Tranchée des Baïonnettes, ne savaient, nous l'avons dit, ni à quel régiment appartenaient les hommes enterrés là, ni quels étaient ces hommes; le monument élevé, on fait es recherches et on découvre une page d'épopée. 

Mais la découverte eût été la même si, au lieu de la Tranchée des Baïonnettes actuelle, les étrangers avaient choisi, pour crypte de leur monument, l'une quelconque des nombreuses tranchées de Verdun. Tout le champ de bataille de Verdun a été le théâtre d'héroïsmes inouïs. Là des d'Assas, là des Bayards, là des Léonidas par milliers et dizaines de milliers. 

C'est tout le champ de bataille de Verdun, de Vauquois à Calonne, qu'il conviendrait de recouvrir d'un vaste monument, car tout ce champ de bataille n'est qu'une vaste Tranchée des Baïonnettes, où, sur chaque mètre carré, si vous creusez le sol, vous trouvez les os de plusieurs soldats français tués là, soit par l'obus, soit par la balle, soit par la grenade, de soldats qui, pendant plusieurs mois, n'eurent à opposer à l'avalanche du fer et à l'inondation du feu que le rempart de leurs poitrines nues et qui, aux vertus consacrées de l'héroïsme français, l'audace, la furie, le mépris de la mort, ajoutèrent cette vertu que nous déniaient nos ennemis : la ténacité. C'est justement cette ténacité sublime que glorifie la Tranchée des Baïonnettes et nous pouvons nous incliner en toute tranquillité devant le monument : la légende appartient à la plus authentique histoire. »


Le monument de la Tranchée des Baïonnettes 



Le porche monumental restauré en 2016
Conçu par Andre Ventre, architecte des Beaux-arts, l'ensemble architectural, rapidement exécuté, est inauguré le 8 décembre 1920 par Alexandre Millerand, président de la République. et par l'ambassadeur des Etats-Unis. Le visiteur pénètre dans l'ouvrage par une entrée massive que ferme une grille en fer forgé. Ce portail est réalisé par le ferronnier d'art Edgar Brandt. Au-delà de ce portail, il parcourt un cheminement étroit en escalier, évoquant les boyaux empruntés par les soldats qui montaient au front. Cette allée centrale recouvre sensiblement le trace de l'ancien boyau Hublet où se déroulent les faits de juin 1916. En point de mire, une croix de pierre rappelle l'abnégation de tous les soldats de Verdun. D'un style brut et épuré, une imposante dalle de béton reposant sur des colonnes sans base ni chapiteau protège, tel un reliquaire, l'emplacement de la tranchée comblée.

Les croix indiquent les sépultures de sept soldats inconnus. Cet imposant monument avait à l'époque une triple vocation : conserver le souvenir des défenseurs de Verdun, honorer les survivants et nourrir le patriotisme de l'après-guerre. Le monument a été classé monument historique en 1922.

Portail en fer forgé
Propriété du ministère de la défense, en mars 2014, ce site est reconnu avec la nécropole nationale de Fleury-devant Douaumont comme l'un des 9 hauts-lieux de la mémoire nationale. La Tranchée des Baïonnettes symbolise, au-delà des récits et des interprétations des faits historiques de juin 1916, le sacrifice des soldats français sur le champ de bataille de Verdun.


« MONUMENT ELEVÉ A LA GLOIRE DES SOLDATS DU 137e R.I.

PRÊTS A L'ATTAQUE ENSEVELIS FUSIL EN MAINS, DANS LEUR TRANCHÉE ACTUELLEMENT 

RECOUVERTE PAR LE MONUMENT DE LA TRANCHÉE DES BAIONNETTES

 ERIGÉ EN 1919 PAR LES SOINS DU COLONEL DE BONNEFOY COMMANDANT LE 137e R.I. »


La tranchée où reposent les corps de 7 soldats inconnus.
Les 14 autres soldats retrouvés, tous identifiés, reposent à la nécropole 
de Fleury-devant-Douaumont.



Sources 

  • Panneaux d’information de la Tranchée des Baïonnettes 
  • Le Télégramme des Vosges du 11 décembre 1920 - gallica.bnf.fr
  • Témoins (1929)  Les Étincelles / Du Témoignage, Jean Norton Cru (1930) Gallimard 
  • Verdun, histoire des combats qui se sont livrés de 1914 à 1918, sur les deux rives de la Meuse (1933) Jacques Péricard - Librairie de France - gallica.bnf.fr
  • Ouest-France du 02 août 2014