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14/12/2022

Le Sépulcre de Saint-Mihiel

Le Sépulcre de Saint-Mihiel ou Mise au tombeau de Ligier Richier est un groupe sculpté du XVIe siècle conservé à l'église Saint-Étienne de Saint-Mihiel. C’est la dernière œuvre connue de l’artiste sammiellois avant son départ pour la Suisse (suite à sa conversion au protestantisme). Restauré au début des années 2000, cet ensemble est, sans conteste, l'œuvre la plus aboutie des productions de Ligier Richier, comme le confirme la description plus qu'élogieuse de Dom J. de l'Isle en 1757 : « [...] travaillée avec tant d'art et de délicatesse qu'elle est regardée par les habiles connaisseurs comme une merveille du monde ». 

Vue d’ensemble du Sépulcre de Saint-Mihiel

Le Sépulcre aurait été exécuté entre 1554, date de l'achèvement de la chapelle des Princes à la collégiale Saint-Maxe de Bar-le-Duc aujourd'hui disparue, et 1564, année du départ précipité de Ligier Richier pour Genève. Son fils Gérard l'aurait, à son retour en France, installé dans une des chapelles de l'église Saint-Etienne, à son emplacement actuel. Il devait probablement s'inscrire dans un programme plus vaste comportant une scène de crucifixion, ce qui pourrait expliquer la présence de personnages extérieurs aux représentations traditionnelles de la Mise au tombeau. Ce thème iconographique connut un grand engouement à partir du XV siècle, notamment en Lorraine où sont conservées plus de quarante «Mise au tombeau» sculptées en ronde-bosse. La prouesse de l'artiste réside dans sa capacité à introduire du rythme et de la vie dans une scène dominée par la mort. Les personnages, saisis sur le vif, semblent s'animer sous nos yeux.

L'influence de l'art italien, dont Ligier Richier a pu s'imprégner à travers la diffusion dans toute l'Europe de gravures, se fait sentir dans sa parfaite maîtrise de l'espace et de l'anatomie. La souplesse des attitudes et de la gestuelle, le soin apporté au rendu des expressions des visages, et le raffinement des vêtements font de cette œuvre l'une des pièces majeures de l'art de la Renaissance en Lorraine.

Le Sépulcre apparaît sur la première liste des monuments historiques de 1840 établie par Prosper Mérimée et est classé aux monuments historiques en 1907 avec l'église. Un moulage du Sépulcre est exposé à la Cité de l’architecture dans le département du Musée des Monuments français. Ce moulage est entré dans les collections du musée en 1895 et 1899, et fut complété en 2005, pour les moulages des murs et voûtes intérieurs de l’enfeu, par l’entreprise Mérindol.

Moulage du Sépulcre - Musée des Monuments français - Cité de l’architecture - Paris
Photo Wikimedia Commons

Description proposée par le panneau d’informations in situ


Le corps du Christ porté par Nicodème et Joseph d'Arimathie occupe le centre de la composition. Marie-Madeleine s'incline humblement à ses pieds. 

Dans l'axe, la Vierge qui s'affaisse sous le poids de la douleur, est soutenue par saint Jean et par une sainte femme. Un ange tenant les instruments de la Passion clôt la composition. A gauche, une sainte femme prépare le tombeau du Christ. A droite sont figurés plusieurs personnages habituellement absents des représentations de la Mise au tombeau. Au premier plan, une sainte femme tient la couronne d'épines. Derrière elle, saint Longin est identifiable à la lance qu'il tient dans la main gauche et dont il ne reste que l'extrémité. A l'arrière-plan, deux soldats jouent aux dés la tunique du Christ. 

Menacée par la remontée par capillarité des eaux présentes dans le sol, le Sépulcre a fait l'objet d'une importante campagne de restauration en 2003. Ces travaux ont permis d'assainir la chapelle et d'isoler les sculptures afin que les sels, présents dans l'eau, cessent de dégrader l'œuvre.

A cette occasion, une étude détaillée des sculptures a été confiée à la restauratrice Florence Godinot. Cette étude a mis en évidence la technique de Ligier Richier. L'artiste esquissait sur le bloc les contours de la figure avant de le tailler. Après l'avoir dégrossi, il le travaillait à l'aide de ciseaux, d'une gradine (ciseau muni de dents) et d'une ripe (outil recourbé). Certains détails des chevelures étaient réalisés au trépan (sorte de foret). Des goujons (sortes de chevilles) en os étaient utilisés pour assembler deux éléments. Plus de quatre cents ans après sa réalisation, les traces présentes à la surface de l'œuvre ont donc permis de reconstituer les gestes de son créateur.

Le 17 octobre 1988, l'administration des PTT émet un timbre-poste dans le cadre de la célébration du Sépulcre de Saint-Mihiel. La dessinatrice du timbre est Huguette Sainson.


Timbre-poste émis le 17 octobre 1988 - Wikitimbres


Description du Sépulcre rédigée par l’abbé Souhaut en 1883


« Au premier plan vous apparaît le corps du Christ, dans ce moment solennel, où Joseph d'Arimathie, aidé de quelques  amis et de plusieurs saintes femmes, s'apprête à l'ensevelir dans le tombeau qu'il avait fait creuser pour sa propre famille, non loin du sommet du Calvaire. Ce disciple dévoué, vous le voyez à votre gauche, tenant  sur l'un de ses genoux les jambes du Sauveur, pendant que Nicodème en supporte la tête et la poitrine. Au second plan, et un peu plus haut, afin de mieux observer la perspective, Marie, mère de Jésus, s'évanouit sous le poids de sa douleur. A la vue de son fils inanimé, elle s'affaisserait sur elle-même, si elle n'était respectueusement soutenue par saint Jean et Marie Cléophée, aïeule du disciple bien- aimé. 

Gravure figurant dans « Les artistes célèbres
Ligier Richier, sculpteur lorrain du XVIe siècle » 
par Charles Cournault - gallica.bnf.fr

Sept autres personnages complètent le groupe. Aux pieds du Christ, Madeleine agenouillée, effleure délicatement de ses doigts et de ses lèvres les pieds de son divin Maître. Véronique lui fait pendant ; droite, derrière Nicodème, elle contemple la couronne d'épines, qu'elle tient pieusement entre ses mains tremblantes. 

À votre gauche, dans l'enfoncement de la grotte, vous distinguez le Sépulcre et Salomé qui étend le linceul destiné à envelopper la sainte dépouille du Christ. 

À l'angle opposé, le centenier dont parle l'Écriture, réfléchit sur les événements mystérieux dont il a suivi l'accomplissement depuis le prétoire jusqu'à ce moment du grand drame de notre Rédemption. 

Placés comme intermédiaires entre les deux lignes principales du groupe, à droite, deux soldats accroupis devant un tambour, tirent au sort le prix de la robe du Christ ; à gauche, un ange tenant en main une croix, s'incline pieusement vers la Mère de douleurs, lui apportant, avec des paroles de condoléance, la promesse de la Résurrection. »

Le Christ soutenu par Nicodème

Le Christ, Nicodème et sainte Véronique
Sainte Véronique portant la couronne d’épines

Joseph d'Arimathie, un genou à terre, l'autre soutenant le Christ


Description du Sépulcre rédigée par Auguste Lepage en 1868


« L'église Saint-Etienne est très ancienne. Détruite et rebâtie plusieurs fois, le génie de Richier y a laissé l'œuvre la plus brillante qu'un artiste religieux puisse rêver. Dans une excavation située dans un des bas-côtés de l'église se trouvent réunies treize statues de pierre représentant les personnages qui mirent Jésus-Christ au tombeau. Le corps du divin martyr, soutenu par Joseph d'Arimathie et Nicodème, n'a pas encore la roideur qui est la marque distinctive de la mort. La figure du Christ respire la souffrance. Les deux disciples portent avec précaution leur précieux fardeau ; ils sont fatigués, et ils attendent qu'une des saintes femmes ait étendu dans le tombeau le suaire et les linges pour y déposer le corps du crucifié. Madeleine, à genoux aux pieds du Christ, attire principalement l'attention du visiteur ; c'est, je crois, le morceau capital de l'œuvre. Sous la femme convertie on devine la courtisane. Sa toilette est riche, sa poitrine opulente, et sous ces grands yeux qui pleurent la mort du Maître on sent une vague réminiscence de la femme d'autrefois ; cependant une douleur immense est peinte sur sa figure. L'artiste a admirablement saisi cette physionomie de Madeleine, qui a toujours tenté les peintres de toutes les époques.

Une autre femme tient dans ses mains la couronne d'épines ; elle contemple douloureusement cet instrument de honte posé par ses persécuteurs sur la tête du Christ. Au second plan, c'est le disciple bienaimé Jean, et une autre femme, soutenant la Vierge anéantie par la douleur. Ici encore se fait remarquer la grande habileté de l'artiste. Je l'ai dit déjà, sur les traits de Madeleine on peut lire sa vie ; on voit, on sent que la sainte qui pleure aux pieds de Jésus a à se reprocher des fautes graves. La douce figure de Marie, au contraire, annonce une vie pure, une conscience tranquille ; l'idée même du mal n'a jamais pénétré dans ce cœur tout plein de l'amour de son fils. La vue du tombeau qui va renfermer le corps du Christ produit sur Marie un effet tel, qu'elle s'évanouit. »

Vitrail de l'église abbatiale Saint-Michel à Saint-Mihiel, représentant 
le Sépulcre de l'église Saint-Étienne 
Le vitrail est signé en bas à droite : Nicolas Lorin, Chartres.

« Un centurion, assis sur son bouclier, contemple d'un œil étonné cette scène de douleur ; sur sa figure mobile se reflètent ses pensées ; il repasse dans son esprit les épisodes terribles du procès de Jésus-Christ ; il songe aux moyens que ses ennemis ont employés pour le faire condamner, et, tout en accomplissant ponctuellement sa consigne, il se dit que le supplicié était innocent. 

Deux de ses soldats jouent aux dés. Leurs figures expriment la cupidité ; ils ne prêtent aucune attention à ce qui se passe sous leurs yeux ; on devine que la partie est intéressée ; en effet, il s'agit des dépouilles du crucifié. 

Autant que je l'ai pu, j'ai fait ressortir les beautés contenues dans l'espace relativement étroit creusé dans l'église de Saint-Étienne. Chaque statue est un chef-d'œuvre d'anatomie : chose étonnante pour ce siècle, où un médecin disséquant un cadavre eût été regardé comme un criminel et peut-être condamné comme tel ! Dans les œuvres de Michel-Ange se fait remarquer la même perfection anatomique, et cette ressemblance entre ces deux génies vient à l'appui de ceux qui pensent que Richier a été réellement l'élève du grand sculpteur italien.

La pierre dont s'est servi Richier est blanche, d'un grain très fin ; mais elle est tendre : par conséquent l'humidité du sol finira, si l'on n'y prend garde, par dégrader de plus en plus ce beau morceau de sculpture. Il a été question de le déplacer; ce serait une faute très grave ; il est parfaitement à sa place, et ce qu'il y aurait à faire serait tout simplement de dessécher le sol, ce qui n'est pas impossible. Le sépulcre doit rester où il est actuellement, et ce serait une profanation, au point de vue de l'art, de vouloir le transporter dans un musée quelconque. »

Au centre, la Vierge en pâmoison.
À gauche de la Vierge,  Marie Cléophée et à droite, saint Jean

Saint Jean soutenant Marie


Marie Salomé déposant le linceul (Photo Wikimedia/Vassil)

Un ange tenant les instruments de la Passion

Marie-Madeleine baisant les pieds du Christ


Marie Salomé - Saint Longin le centurion 

Les deux soldats jouant la tunique du Christ aux dés


L’Est Républicain nous précise que la réhabilitation du Sépulcre de Ligier Richier a couté 248.292 €. La participation des différents partenaires a été de l’ordre de 40% pour la DRAC (Etat), 25% pour la région lorraine, 20% pour le conseil général et 15% à la charge de la ville de Saint-Mihiel, dont le directeur de la direction des affaires culturelles a souligné «l’immense richesse patrimoniale et artistique». Il est à noter que l’école d’architecture de Nancy a entrepris la numérisation de l’oeuvre du sculpteur sammiellois à l’aide d’un laser en trois dimensions.

Le Sépulcre est protégé par une grille en fer forgé


Sources 

  • Plaquette « La route Ligier Richier, pérégrination à la rencontre d’un sculpteur de la Renaissance » 
  • Panneau d’informations situé sur place 
  • Comité Départemental du Tourisme de la Meuse - Texte : Marion Méraud, Maryline Nicollet, Pierre-Hippolyte Penet (2017)
  • L’Est Républicain du 28 octobre 2010 [Article de Jean-Pierre Leloup]
  • Ligier Richier, Auguste Lepage - Académie des bibliophiles (1868)
  • « Les Richier et leurs œuvres », Abbé Souhaut (1883)
  • Ligier Richier, statuaire lorrain du XVIe siècle, Charles Cournault (1887)

18/08/2022

L’ancienne abbaye bénédictine Saint-Michel (Saint-Mihiel)



Fondée à l'époque mérovingienne, l’abbaye de Saint-Mihiel devient un centre d'études majeur sous les Carolingiens avec l'abbé Smaragde, et le reste pendant près de 10 siècles, avant le départ précipité des bénédictins jusqu'en 1791.


Au sud de l’église abbatiale, le cloître et les autres bâtiments, reconstruits ou réaménagés au XVIIIe siècle, ont été et sont encore occupés, depuis la Révolution, par divers services publics et culturels (cour d’assises, tribunal d’instance, armée, prison, collège, gendarmeries), ce qui a permis à cette abbaye, située dans une petite ville, de ne pas être détruite contrairement à la plupart des abbayes qui étaient situées à la campagne. Seul le premier étage de l’aile ouest-est la plus au sud n’a pas changé d’affectation et abrite toujours la bibliothèque. Une seule modification importante est à noter : le percement de la grande aile nord-sud pour laisser passer la route vers Nancy. Les jardins sont devenus propriétés privées, sauf ceux devenus une place qui permet d’admirer la grande façade orientale de l’abbaye et le chœur de l’église (place des Moines et place du Sahara). Depuis quelques années, l’ancienne abbaye bénéficie de nombreuses restaurations qui rendent son faste d’antan à cet ensemble architectural longtemps délaissé.

L’abbatiale Saint-Michel



À la première église bâtie par l'abbé Smaragde vers l'an 815 succéda un nouvel édifice de style roman construit à l'initiative, de l'abbé Albert II et consacré en 1068. De cette période subsistent les parties basses de l'actuelle tour-porche occidentale et le voûtement du rez-de-chaussée. La majeure partie de l'église Saint-Michel actuelle date de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle, époque où les deux abbés successifs dom Hennezon (1666-1689) et dom Gabriel Maillet(1689-1727) entreprirent de vastes travaux d'aménagement sous la direction de l'architecte, le frère Hilarion Boulanger. La nef, le chœur et les parties hautes des tours orientales furent reconstruits et la crypte supprimée. Si la nef et le transept restent d'une grande sobriété, le chœur arbore un riche décor avec ses quatre-vingts stalles aux motifs de volutes et de cariatides. 

Le choeur de l'ancienne abbatiale

NB : l'abbatiale Saint-Michel fera l'objet d'une étude plus détaillée dans de prochains articles (la Pâmoison, les vitraux, le chœur, l'orgue...)

Le cloître 

Le cloître est un lieu de repos et de recueillement pour les moines bénédictins. La cour du cloître servit de cimetière à partir du XIIIe siècle. Avant cette époque, les religieux étaient inhumés sur le mont Castillon, où fut fondée la première abbaye. Après le transfert de l'abbaye au IXe siècle sur son emplacement actuel, les moines décidèrent de laisser un prieuré au Mont Castillon, pour notamment y enterrer leurs défunts. Cependant, le voyage jusqu'à ce prieuré était très périlleux, surtout en hiver, ce qui les encouragea à changer de lieu.

Ce changement est symbolisé par la construction d'une entrée, afin de relier la cour du cloître à l'abbatiale Saint-Michel. Il s'agit d'un portail gothique en arc brisé surnommé In Paradisum en l'honneur des chants qu'entonnaient les religieux quand ils traversaient ce passage pour déposer le corps jusqu'à sa tombe.

En 1766, les deux bâtiments du XVIe siècle qui formaient le cloître sont détruits pour être remplacés par de nouveaux bâtiments. Les galeries du cloître sont alors fermées.


La galerie couverte du cloître située dans l’aile de la gendarmerie

Après la Révolution française et le départ des moines en 1791, le cloître est remanié pour les besoins d'un collège et d'une gendarmerie. En 1834, la cage d'escalier à double révolution de style italien datée du XVIe siècle et située contre le transept sud de l'abbatiale est détruite pour agrandir la cour.

L’aile orientale de dom Hennezon (grand corps de logis de l’ancien palais abbatial)


L'aile orientale de dom Hennezon (celle qui faisait face aux anciens jardins) est, de tous les anciens bâtiments de l'abbaye, le mieux conservé.





L'architecte de ce « grand corps de logis tourné à l’orient » est Marc Boulanger qui mourut en 1687, après avoir achevé cet ouvrage. Le commanditaire, dom Henri Hennezon, abbé de Saint-Mihiel, survécut presque deux ans à l'architecte. Il mourut en 1689, alors âgé de 72 ans. L'inscription funéraire le célèbre comme un prélat de haute valeur, ayant doté l'abbaye d'une riche bibliothèque, et l'ayant enrichie de magnifiques édifices.


Dom Calmet a laissé de lui l'éloge que voici : 

« Il a rendu l'abbaye de Saint-Mihiel plus florissante qu'elle n'avait jamais été depuis sa fondation. Le grand bâtiment qu'il a fait faire avec une dépense de plus de 20.000 écus, et qui est encore aujourd'hui un des plus beaux qui soient dans le pays, est une preuve de son goût et de sa magnificence, de même que le grand nombre de bons tableaux qu'il a achetés. Le grand jardin qu'il a fait dresser, la bibliothèque qu'il a amassée, et qui était la mieux choisie et la plus nombreuse du pays, les ornements en broderie et en draps d'or, et la grande quantité d'argenterie dont il a orné la sacristie et l'orgue magnifique de l'église sont des preuves qu'il a été un fidèle dispensateur des revenus de la manse abbatiale, qu'il les employait tous pour l'utilité et l'ornement de son monastère. Et il ne s'occupait pas moins au soulagement des pauvres et des devoirs de l'hospitalité. » 


Source : gallica.bnf.fr

La construction de l'aile de dom Hennezon débuta en 1679. La façade comporte au total 26 travées. Deux pavillons, chacun de 3 travées, occupent les deux extrémités et forment une faible saillie sur la façade. En 1850, on a pratiqué un passage routier voûté à peu près au milieu de l'aile pour ménager un pertuis au chemin départemental de Saint-Mihiel à Nancy. Cette opération eut pour effet de faire disparaître l'entrée monumentale de ce palais, son arcature, son fronton, son perron. 



La façade est à deux niveaux. L'entrée principale se faisait par la façade ouest. Le visiteur ayant franchi les portes, rencontrait une grande galerie qui courait du nord au sud de l'aile et en desservait toutes les pièces à la manière d'une galerie de cloître. La partie nord, à gauche de l'entrée, était d'ailleurs effectivement une galerie de cloître. Elle aboutissait directement à l'église et s'ouvrait sur la dernière chapelle du transept.

Puis venait un couloir aboutissant à une porte ouvrant sur le jardin. Il y avait ensuite la salle capitulaire, le réfectoire, puis des chambres et des salons pour l'abbé et ses hôtes, de nouveau un couloir et une porte donnant sur le jardin et enfin le rez-de-chaussée du pavillon sud : une grande pièce et deux petites.

La salle capitulaire


Malgré les occupations successives, la salle capitulaire est demeurée à peu près intacte. Elle est caractérisée par la présence d'une file de colonnes occupant l'axe central et recevant la retombée des voûtes. Les colonnes sont nues et galbées, les chapiteaux sont corinthiens mais librement interprétés : des aigles aux ailes déployées se développent sur leur corbeille. Une console porte les armoiries de dom Hennezon. Chaque clef de voûte est ornée d'un fleuron. La salle est de belle ampleur. On pouvait y tenir des réunions longues et nombreuses sans incommodité. De nos jours, la salle est devenue municipale. On y organise des expositions ou des manifestations telle que la Biennale des Arts du Livre.






Le réfectoire 

La salle suivante, qui était celle du réfectoire, comportait six travées. Elle a été amputée de la première d'entre elles, transformée en couloir d'entrée donnant sur le jardin. Les trois dernières travées, isolées par un autre mur de refend, ont été supprimées pour permettre le passage d'une route départementale dont il a déjà été question précédemment. Réduit à une salle carrée à colonnes, de deux travées, l'ancien réfectoire sert aujourd'hui de salle des mariages.





L'ancienne porterie d'entrée occidentale ne peut plus être reconstituée que d'après le plan de 1791. Un perron de douze marches donnait accès à une terrasse, probablement dallée et bordée d'une balustrade.

A l'intérieur de la porte routière, deux volées droites d'escalier ont été aménagées en 1850, l'une à gauche conduisant aux locaux de la Division militaire, l'autre à droite conduisant aux services du Tribunal.


C'est à Saint-Mihiel, dans ces locaux, que fonctionna la Cour d'Assises de la Meuse, des origines à 1965. Il ne resta plus qu'un greffe et un tribunal d'instance et de police qui fonctionna jusqu’à leur fermeture le 1er janvier 2010. Aujourd’hui, cet espace, qui a bénéficié d'importants travaux de rénovation entre 2017 et 2018, est occupé par l'exposition pérenne «Le Saillant de Saint-Mihiel, 1914-1918, de l'occupation à la libération.»

Le reste de l'aile orientale, le premier étage tout entier, abrite à présent la mairie et ses divers services. La mairie de Saint-Mihiel a en effet quitté l'ancien hôtel de ville, élégante construction édifiée à son intention en 1776 et qu'on peut voir encore, à quelque distance de l'abbaye dans la rue Raymond Poincaré, et s'est transportée dans cette partie de l'aile de dom Hennezon où elle a trouvé des locaux plus spacieux.

L’aile de la gendarmerie 



L'aile de la gendarmerie, parallèle à celle de la bibliothèque, est comme celle-ci implantée en retour d'équerre sur l'aile de dom Hennezon, vers l'ouest. C'est un très long bâtiment de quatorze travées, à deux étages au-dessus du rez-de-chaussée. On sait peu de choses de ce bâtiment, construit en pierres de taille côté extérieur, en pierres de taille au rez-de-chaussée seulement côté cour. Le plan de 1791 montre qu'il est parcouru d'une extrémité à l'autre, au nord, par une longue galerie marquée « corridor » et qui est en fait une galerie de cloître. Cette galerie existe encore sur les trois quarts de son ancien parcours. Elle est voûtée d'arêtes et paraît dater de la fin du XVII° siècle. La galerie se raccorde à celle de l'aile de dom Hennezon par un escalier droit de dix marches, parce que les deux galeries ne sont pas de même niveau. Celle qui nous intéresse ici a subi toutes sortes d'occupations et ses baies sur la cour sont aux trois quarts bouchées par de la maçonnerie. L'affectation de cette aile, en 1812, à la Gendarmerie nationale, nécessita toute une série d'aménagements.



La galerie du cloître 


L’aile du collège

L'aile du collège ferme la cour du cloître de l'abbaye. Elle est ainsi appelée parce qu'elle abrita longtemps un établissement d'enseignement après la Révolution. C'est alors qu'on construisit le grand escalier de bois, situé au milieu du bâtiment, et qui existe encore. En 1883, le collège occupa l'extrémité ouest de l'aile de la gendarmerie dépassant l'aile du collège. Plus tard encore, le collège devint un lycée qui demeurera dans ces locaux jusqu'en 1972. 

L’aile du collège jouxtant la tour-porche de l’abbatiale

La galerie de cloître servit alors de préau et reçut tous les outrages inhérents à cette fonction : construction de latrines, grillage des fenêtres, etc. La galerie de cloître existe cependant dans son gros œuvre et sera un jour réhabilitée. La façade exposée sur la cour est semblable à celle de la gendarmerie. La façade extérieure s'ouvre sur l'arrière du monument aux Morts et sur le square qui le complète. L'aile du collège possède une haute toiture d'ardoises, tandis que celle de la gendarmerie est basse, et faite de tuiles.

L’aile du collège vue depuis la cour du cloître

L’aile de la bibliothèque 

La reconstruction et l'agrandissement de la bibliothèque eut lieu sous l'abbatiat de Dom Hennezon. Elle fut déménagée entre 1688 et 1689 dans une aile aujourd'hui disparue. Ce fut aussi à cette période qu'eut lieu l'apport le plus remarquable de l'histoire de la bibliothèque, celui des livres du cardinal de Retz que Dom Hennezon fit acheter en 1679. L'aile de la bibliothèque actuelle a été édifiée de 1768 à 1775. Une inscription : « Bibliothèque bénédictine » signale son entrée.

D'après le plan de 1791, l'aile de la bibliothèque comportait quinze travées et se développait sur deux niveaux. Dès les débuts de la Révolution, tout le rez-de-chaussée fut aménagé en prison, avec geôles pour les prisonniers, salles communes et locaux pour les gardiens. C'est pourquoi toutes les fenêtres basses de cette aile sont garnies de forts barreaux. Le bâtiment n'a perdu sa fonction carcérale qu'en 1965, au moment où la suppression de la Cour d'Assises rendit inutile l'existence d'un dépôt.



Mais la partie noble de cette grande aile est son étage supérieur. On peut y voir l'une des plus belles salles de bibliothèque du XVIII° siècle qui nous aient été conservées.

La bibliothèque proprement dite est précédée d'une salle de conservation et de consultation du catalogue, servant d'antichambre et de salle d'accueil. Elle présente un plafond richement décoré des allégories des quatre parties du monde, des quatre éléments et des quatre saisons, ces symboles représentent l’encyclopédisme des collections. 



Les quatre parties du monde

Les quatre éléments

Les quatre saisons

L'abbaye de Saint-Mihiel a possédé une bibliothèque dès le Moyen Age. Les manuscrits précieux, les incunables, les impressions rares, les livres de luxe qui s'y trouvent forment l'un des plus beaux ensembles d'érudition qui nous soient conservés. On y trouve également les meilleurs auteurs de l'antiquité, de la Renaissance et du XVIIe siècle, en droit, philosophie, littérature, botanique, géographie, histoire, zoologie, médecine, astronomie, mathématiques, agriculture, architecture, numismatique etc. Parmi les ouvrages les plus remarquables, citons « Le Saint-Athanase » datant du VIIIe siècle, « Le Voyage itinéraire et transmarin de la Sainte Cité de Jérusalem », écrit par Dom Loupvent au XVIe siècle, et bien sûr, le fameux « Graduel », un parchemin de chants religieux aux dimensions impressionnantes : 32 kg, 68 x 56 cm, ayant nécessité 140 peaux de moutons.

Extrait du Graduel


« Le Voyage itinéraire et transmarin de la sainte cité de Jérusalem »
de dom Loupvent
Source : gallica.bnf.fr



Ensuite vient la grande salle de bibliothèque mesure 50 m de long, 8 m de large et 5 m de hauteur, 17 fenêtres de part et d’autre ponctuent les 58 armoires en bois sculpté. Selon la tradition, des artistes italiens seraient les auteurs des plafonds. Le sol est parquetté.

Il ne faut pas se dissimuler que tout cet élégant décor, si satisfaisant pour l'œil, a été fortement malmené. Les lustres sont absents, depuis une époque reculée. Ensuite, la guerre de 1914-1918 a exercé ici ses ravages. Le décor qu'on admire aujourd'hui résulte en grande partie des habiles restaurations opérées après la guerre.



Le musée d’art sacré


Après avoir accueilli un tribunal, une cour criminelle et une prison, le  1er étage de l'aile sud, dans un espace qui a subi  de nombreuses transformations depuis le XVIIe siècle, accueille depuis 1998, le Musée d’Art sacré ainsi que l’Office de Tourisme Cœur de Lorraine.

Les objets conservés ici ont un statut particulier. En effet, une grande partie provient de musées mais également de dépôts effectués par les communes du département de la Meuse, cela permet à ces dernières de garder leur droit de propriété et de disposer, à tout moment, des objets déposés pour les besoins du culte ou pour les fêtes locales. 

Ce dispositif vise à protéger et conserver un patrimoine qui fait souvent l'objet de vols et de dégradations. Il permet aussi de le rendre accessible à un plus large public car le patrimoine religieux reste souvent méconnu et considéré comme difficile d'accès. Certaines œuvres ont été acquises par le Département, soit par des dons, soit par des achats ; cela concerne environ 600 objets.

Le musée est divisé en trois sections, aménagées afin de retracer de façon thématique et chronologique l'évolution des formes et des styles de l'art sacré du Moyen Âge à la seconde moitié du XXe siècle, on y trouve ainsi  :

  • une partie orfèvrerie  (ciboires, croix, ostensoirs, reliquaires...)
  • une partie sculpture (pierre, bois, cires habillées...) 
  • une partie dédiée aux expositions temporaires.


La sainte Elisabeth attribuée à Ligier-Richier.


Sources :

*L'abbatiale de Saint-Mihiel (Hubert Collin) dans Congrès archéologique de France. 149e session. Les Trois-Évêchés et l'ancien duché de Bar. 1991, p. 293-339, Société Française d'Archéologie, (lire en ligne sur gallica.Bnf.fr)
*https://musees-meuse.fr/la-route-des-abbayes/
*https://abbaye-saint-mihiel.jimdo.com
*Panneaux pédagogiques : Saint-Mihiel, la petite Florence lorraine