Affichage des articles dont le libellé est gothique. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est gothique. Afficher tous les articles

05/01/2023

Le portail de l’église de Mont-devant-Sassey

Le portail sud de l’église Notre-Dame-de-l’Assomption de Mont-devant-Sassey est considéré comme le portail gothique (XIIIe siècle) le mieux conservé en Lorraine. L’intérêt suscité pour ce joyau architectural ne semble pourtant dater que de la fin du XIXe siècle.



Pour la description du portail, nous utiliserons l’article rédigé en 1991 par Hubert Collin dans « Congrès archéologique de France » / gallica.bnf.fr


« L'église de Mont est certes connue pour ses parties romanes mais son portail n'est pas de médiocre intérêt en dépit de son mauvais état de conservation comme on va le voir. Le portail s'ouvre sur un côté de l'église, ici le côté sud, selon le dispositif si classique en Lorraine et dont les cathédrales elles-mêmes (Verdun, Metz) ont donné l'exemple. Le portail de Mont est gothique. Son ornementation sculptée, en particulier le décor des chapiteaux, permet de le dater du XIII° siècle avancé. La sculpture s'apparente à l'art de la cathédrale de Reims, mais le style des grandes statues, qui est archaïque et malaisé, est celui d'un atelier « provincial », pour employer le terme consacré par l'usage, quoique impropre.




Le porche 

En avant du portail s'élève un porche, formant comme une loggia. Le porche est un édicule octogonal, couvert d'ardoises, avec un gracieux portail extérieur à colonnes ioniques portant un fronton en segment d'arc. Il date de 1754. Il est dû à un architecte de Verdun nommé François Wadelaincourt. Il portait autrefois les armoiries des Condé, seigneurs du pays. Il est fort probable que ce porche servit jadis d'auditoire de justice. […]

La construction du porche couvert est postérieure de près de 5 siècles à celle du portail sculpté

Le porche proprement dit est, vu de l'intérieur, un édifice cherchant à imiter le gothique ancien. Il a pour couvrement une voûte à ogives rayonnantes. Les ogives prennent appui, dans les angles, sur des faisceaux de trois colonnettes à bagues. L'édifice peut faire illusion sous le rapport de l'ancienneté, mais il n'est pas antérieur au porche extérieur. A l'origine, il devait exister là, non un édifice en pierre mais un édifice en bois. De tels porches, destinés à protéger le portail des intempéries et à donner quelque abri aux paroissiens, ne sont pas rares. 


Mais lorsqu'on examine le portail de Mont, on constate qu'à plusieurs endroits, les pierres sont rougies par le feu. Il y a même certaines parties qui ont tellement souffert de la violence des flammes que les pierres, ainsi que les reliefs qu'elles portaient, ont éclaté. Selon toute vraisemblance, le porche de bois ayant existé ici a été la proie d'un incendie, et c'est celui-ci qui est responsable des dégâts causés aux sculptures. Il est même probable que c'est lors du siège de 1653 que le sinistre a été consommé. La statue du trumeau ayant été victime de l'accident, on peut se demander par quel miracle les deux vantaux du portail, qui paraissent du XVe siècle, voire du XIVe, ont pû demeurer intacts. Avaient-ils été déposés auparavant, comme trop faciles à défoncer ? 

Le portail 

Au rez-de-chaussée, il y a une petite arcature aveugle dont les colonnettes se dressent sur un stylobate où l'on peut s'assoir. L'arcature inférieure, de petites dimensions, est richement ornée : monstres, têtes grimaçantes et animaux dans les écoinçons, chapiteaux gothiques à feuillage et à crochets, bases à moulures aplaties, en « assiettes retournées ».

Arcature orientale 

Arcature occidentale

Sous les grandes statues, les arcatures sont décorées de petits-bas-reliefs
aux motifs païens (chouette, masques grimaçants, dragon ailé).

Au-dessus, dans des niches à dais architecturaux, on trouve des statues debout au nombre de cinq de chaque côté ; quatre dans les niches et une cinquième à l'extérieur, en bout de rangée, adossée aux colonnettes recevant l'archivolte et les ogives. 

Dais architecturaux constitués d’une frise de tours et de maisons

Ébrasement gauche et ébrasement droit

Le tympan 

Le tympan se divise lui-même en quatre registres horizontaux. Il porte lui aussi une iconographie intéressante. Le registre inférieur montre une Nativité, scène dissimulée en partie par une tenture. On distingue à droite l'Enfant-Jésus couché dans la crèche et, à l'extrémité, un personnage mutilé qui dut être un ange thuriféraire. Le registre médian présente, de gauche à droite, la Fuite en Égypte, l'Adoration des Bergers et l'Annonce aux Bergers ou l'Adoration des Mages, scène mutilée. Au registre supérieur, on ne distingue plus, à gauche, qu'un Massacre des Innocents, puis une scène détruite où Léon Germain de Maidy proposait de reconnaître le Miracle du champ de blé. Tout en haut, dans une niche, sous la clef de l'arc, il y a un personnage couronné, assis en tailleur par manque de place pour un trône plus conforme à sa dignité : c'est le roi Hérode qui régnait sur la Judée et qui, voyant dans le Christ un futur compétiteur éventuel à la royauté sur les Juifs, chercha à le faire mourir en ordonnant le massacre des Innocents.

Le tympan comporte quatre registres consacrés au cycle de l’Enfance du Christ.
Malheureusement, le tympan a souffert du temps et certaines scènes sont incomplètes,
ce qui rend l’identification parfois incertaine.
La Vierge couchée dissimulée par une énigmatique tenture/teinture rouge
L’Enfant Jésus dans la crèche accompagné du bœuf et de l’âne
L’Adoration des Bergers
La Fuite en Égypte
Le Massacre des Innocents

Les grandes statues

Nous avons évoqué leur gaucherie, mais leur intérêt iconographique est grand, leur signification collective d'un intérêt plus grand encore. Du côté droit se présentent d'abord Ève et Adam, demi-nus, avec des vêtements de feuillage, dans une attitude penaude qui sied à ceux que l'Archange vient de chasser du Paradis terrestre. Ensuite vient un Moise, porteur des tables de la Loi, en robe plissée, avec de part et d'autre du front les « cornes » de lumière qu'on s'attend à trouver chez le fondateur de la loi. Le personnage suivant est Abraham, les yeux au ciel, attendant l'ordre de sacrifier son fils Isaac debout devant lui, sur un bûcher non allumé. En bout de rangée se tient Noé, devant le feu du sacrifice offert après le Déluge. 

Ébrasement droit (de gauche à droite) : Ève (1), Adam (2), Moïse (3),
Abraham et Isaac (4), Noé (5)

Ève et Adam
La représentation de Moïse cornu viendrait d’une mauvaise traduction latine
du texte hébreux où le mot rayonnant aurait été traduit par cornu. 
Isaac, pieds et poings liés, est juché sur l’autel de l’holocauste.

Au premier plan, l’autel de l’holocauste préparé pour le sacrifice d’Isaac.
Au fond, Noé élève un autel à la gloire du Seigneur et y immole certains animaux purs
que l’on voit périr au milieu des flammes.
Sous la console est représenté un homme avec un oiseau.
Cet homme, aujourd’hui acéphale, est Noé qui sort pour juger du niveau des eaux
par la fenêtre qu’il a aménagée dans l’arche, comme il est écrit dans la Genèse.
L’oiseau n’est autre que la colombe envoyée par Noé pour voir si les eaux avaient
diminué à la surface de la terre. 

Du côté gauche, on voit d'abord une statue de la Vierge, la nouvelle Ève faisant pendant à l'ancienne. On trouve ensuite l'Archange Gabriel, celui qui fut le messager de l'Annonciation. Le troisième personnage doit être un Siméon ou un Zacharie [Marie Lekane y voit plutôt le prophète Isaïe], le quatrième un prophète Isaïe ou un saint Jean l'Évangéliste [Marie Lekane y voit plutôt le prophète Jérémie], à cause des tablettes d'écriture portées par lui. Le cinquième personnage enfin, un homme barbu, vêtu d'une toge plissée, portant une banderole et une église d'où s'échappe un cours d'eau, est le prophète Ézéchiel. Nous devons son identification à la sagacité de M. Léon Pressouyre.

Ébrasement  gauche  (de  droite  à  gauche) :  scène  de  l’Annonciation (6 et 7)  
Isaïe ? (8) , Jérémie ? (9) , Ézéchiel (10)

Marie lors de l’Annonciation. Elle laisse apparaître sur son visage un sourire,
typique des Vierges de l’Annonciation et lié à l’annonce de la bonne nouvelle.

L’archange Gabriel

La maquette de l’édifice portée par le personnage et le flot
d’eau qui en jaillit ont permis d’identifier le prophète Ézéchiel


Un érudit local, Jeantin, avait jadis identifié l'inconnu avec Pépin de Laden, fondateur de l'abbaye d'Andenne, par l'intermédiaire de sa fille Begga (sainte Begge). Pourtant, l'eau s'échappant d'un temple avait de quoi alerter tous ceux qui connaissent un tant soit peu la liturgie du Temps pascal. Léon Pressouyre a su rétablir la vérité, dans sa splendeur éclairante.

Nous sommes en présence ici d'une figuration de la vision d'Ézéchiel, l'eau sortant du Temple. Pour saint Jérôme, cette eau salutaire était la doctrine du Christ. C'était aussi une allusion au baptême. Pour Rupert de Deutz, la vision d'Ézéchiel était prophétique. Elle symbolisait l'eau sortant du côté du Christ. L'Église étant le corps mystique du Christ, l'eau était celle de la Rédemption par le baptême. […] Et Léon Pressouyre de conclure en ajoutant que l'arche de Noé était le type même du symbole de la Rédemption baptismale, dès les premiers temps du christianisme.

De part et d'autre de l'entrée du porche, à l'intérieur, deux statues placées dans des niches complètent la série des statues du portail. L'une représente le roi-prophète David, couronné et tenant un livre ouvert. L'autre personnage est reconnaissable à la verge qu'il tient : c'est le prophète Aaron.

Le roi David soutient un livre ouvert de ses deux mains
(probablement le livre des Psaumes)
Le prophète Aaron tenant la Verge fleurie, 
symbole de l’enfantement du Christ par la Vierge

Nous avons dit que la statue du trumeau avait disparu. Il n'en reste que l'auréole, sous le dais architectural qui couronnait le tout. Que représentait la statue ? En bonne logique, ce devait être une statue de Notre-Dame, puisque l'église de Mont est placée sous l'invocation de la Vierge.

Le trumeau était probablement orné d’une Vierge en pied.
Les portes en bois d’origine datent du XIVe siècle.


Les voussures


Les claveaux des quatre arcs s'ornent d'une série de petits personnages assis ou debout. Une moitié d'entre a été détruite par le feu. Un examen rapide permet de reconnaître parmi eux des personnages choisis au sein des Douze Apôtres et des Évangélistes. On reconnaît aussi certaines scènes tirées de l'Écriture sainte. L'archivolte elle-même est décorée de rinceaux et de fleurs. »

Les voussures rougies par le feu probablement au XVIIe siècle 




Pour compléter cette description rédigée par Hubert Collin en 1991, prenons le temps de lire un extrait de l’étude réalisée par Marie Lekane en 2012 concernant la  lecture globale du portail de l’église de Mont-devant-Sassey.

« Avant toute chose, nous devons insister sur la concomitance de réalisation et de mise en place des statues. En effet, des caractéristiques communes ont pu être dégagées de l’ensemble. Au terme de cette étude iconographique, il apparaît dès lors que le programme iconographique de l’église de Mont-devant-Sassey est unitaire et réfléchi. La lecture typologique justifie la présence des personnages de l’Ancien Testament par leur lien avec le Nouveau. Ce lien est déterminant dans la compréhension de la présence des prophètes de l’Ancienne Alliance. Les couples d’Adam et Ève et de l’Annonciation sont spatialement liés et leur opposition symbolique est connue : Marie est la nouvelle Ève et son Fils, matérialisé au tympan, rachète le péché originel. Cette opposition symbolique constitue le pivot de la lecture typologique, le noeud sémantique du portail montois. Ézéchiel et Noé sont également placés en vis-à-vis ; tous deux préfigurent le sacrement du baptême.

De  la  même  manière,  les  personnages  de  l’ébrasement  droit répondent à la logique typologique. Moïse préfigure à la fois le Christ et saint Pierre. Il symbolise l’Ancienne Loi que Jésus n’abolit pas mais accomplit. Les correspondances typologiques établies entre les épisodes de la vie de Moïse et de Jésus sont nombreuses. Le serpent d’airain perché est le symbole de l’élévation du Christ sur la croix. L’offrande par Abraham de son unique fils préfigure l’immolation de Jésus sur la croix par son Père. Dans les deux cas, il y a consentement du sacrifié. Noé préfigure également le sacrifice du Christ. Il offre à Dieu des animaux et des oiseaux purs. Cet holocauste rétablit le contact entre Dieu et les hommes. En considérant que la statue disposée aujourd’hui dans la niche occidentale représente le roi David, ce personnage revêt également un sens christologique important, car il est non seulement une préfigure du Christ, mais également son ancêtre direct. Les présences combinées de Moïse, d’Abraham et de Noé évoquent la rédemption par le sacrifice de la croix. Les quatre scènes de sacrifice des voussures consolident la vision anagogique du sacrifice du Christ pour la Rédemption de l’Humanité.

À l’ébrasement gauche, sans que les identités des statues soient certaines, il est tout à fait possible qu’elles accompagnent et amplifient la scène de l’Annonciation. Ainsi Aaron et Ézéchiel sont-ils connus pour être des annonciateurs de la maternité virginale de la Vierge. La sacralité et la virginité de la Vierge sont aussi mises en exergue au tympan, dans la mise en scène peu commune de la Nativité. Les apôtres et les évangélistes des voussures sont des témoins de la vie, du Ministère et de la divinité du Christ. Ainsi, malgré les nombreuses représentations de la Vierge, il ne s’agit pas d’un programme mariologique, étant donné que  ce  ne  sont  pas  des  épisodes  de  la  vie  de  Marie  qui  sont  mis  en évidence.  Mais  Marie  constitue  le  « réceptacle  du  Christ »  et  le  pivot entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance. »

 L’heure de l’interro

Attention : il faut cliquer sur le bouton plein écran (en haut à droite)

afin de voir les 4 propositions !



Sources et bibliographie


06/03/2022

La Recevresse (Avioth)

À proximité du portail Sud de la basilique Notre-Dame d’Avioth, s’élève une petite construction unique au monde : la Recevresse. Voici un article détaillé sur ce petit monument (classé monument historique depuis 1862), publié dans le 149e Congrès archéologique de France en 1991, et rédigé par Mme Simone Collin-Roset. Source : gallica.bnf.fr

Au sud de l'église, adossé à l'enceinte extérieure de l'ancien cimetière, se dresse un charmant « édicule, ravissant de grâce et de délicatesse, sorte de chapelle hexagonale ajourée de tous côtés, à deux étages », couronnée par un clocheton. Unique en son genre, il a intrigué les archéologues du XIX° siècle qui y ont vu qui un « baptistère saracénique », qui une chapelle sépulcrale, qui une lanterne des morts (Viollet-le-Duc pour cette dernière hypothèse.) 

                            
Le curé Delhotel à la fin du XVIIe siècle raconte que « le jour de la fête de la décollation de saint Jean, chacun an, tous les villages voisins avaient coutume par un zèle de charité, d'amener une charretée de blé en aumône, au profit de Notre-Dame d'Avioth, collecté de maison en maison, en sorte que cette récolte, chacun an, rapportait trente muids de grains (1 muid = 160 litres, en Lorraine) (...) Et se faisait aussi aumône d'animaux, de deniers, de linges, cires, torches (...) et cierges que le monde offrait en oblation devant l'image de Notre-Dame hors l'église que nous disons encore la Recepvresse où il y a une structure en façon de pyramide, la plus belle et la plus rare et magnifiquement bâtie qui se puisse rencontrer dans toute la province (...) 

Et présentement ces pieuses coutumes de libéralité sont du tout assoupies et éteintes tant pour le refroidissement de la charité que pour la malignité des temps qui a empêché la continuation de telles bonnes œuvres ». Le curé Delhotel nous donne là d'une part l'origine du nom actuel de la « recevresse » (employé seulement depuis 1882) qui était alors celui de la Vierge qui y était abritée, d'autre part l'usage qui en était fait avant qu'il soit curé d'Avioth. Un tronc y fut placé. Un autel y fut installé, ce qui a fait parler de chapelle pour dire des offices en plein air, mais cet autel n'a été placé là que vers 1700, lorsqu'on a élargi dans cette intention la niche abritant la Vierge.



En fait, il semble bien que ce soit Wolfgang Laufer, en 1972, qui ait définitivement élucidé le mystère : au début du xv° siècle, la cité d'Avioth était très vivante, remplie de bourgeois, de pèlerins, de marchands. A proximité de la « recevresse » s'élevait la croix d'affranchissement portant « deux hures de sanglier » (Delhotel, p. 57) et il est vraisemblable que cette « recevresse » était le lieu où siégeait le tribunal des échevins qui se trouvait être en même temps la plus haute instance administrative de la communauté. Elle était ainsi si l'on peut dire « l'hôtel de ville » d'Avioth affranchie. Vers 1230, peu après l'affranchissement de la ville, le tribunal des échevins tenait ses sessions au cimetière. 

Sur ce dessin de 1830, apparait la « croix de justice », symbole de
l'affranchissement,  privilège qui fut accordé à Avioth en juillet 1223




Eglises et cimetières avaient en effet très tôt été utilisés pour les tribunaux laïcs. Il est possible qu'un peu plus tard, le siège des sessions du tribunal d'Avioth ait été déplacé de l'intérieur du cimetière jusqu'à son portail, c'est-à-dire à l'endroit où fut érigée plus tard la « recevresse », à côté de l'entrée monumentale du cimetière. Il est possible également qu'une construction en bois ait précédé le bâtiment de pierre. De telles constructions étaient chose courante au Moyen Age. Et leur disparition s'explique aisément. Les structures en bois se sont dégradées ou ont été démolies dès qu'on n'en a plus eu l'utilisation. Souvent aussi elles ont été remplacées par des constructions en pierre dans les hôtels de ville ou à proximité immédiate. Les tribunaux siégeaient en plein air. Lorsqu'on se mit à rendre la justice dans des bâtiments clos, la publicité des jugements fut assurée en ouvrant les fenêtres ou en aménageant une ouverture dans le toit.
 

A quelle date la « recevresse » d'Avioth a-t-elle perdu sa fonction ? Les indications données par le curé Delhotel montrent qu'on ne savait plus rien de son ancienne vocation dès le début du XVII° siècle. Faut-il attribuer aux malheurs de la guerre l'oubli dans lequel elle était tombée ? Cependant ce n'est pas à la suite d'un changement dans l'organisation municipale que l'édifice fut abandonné. Le tribunal des échevins a continué à exister même après le transfert de Montmédy à la France (Traité des Pyrénées, 1659) : il est encore cité en 1750. Mais dès le XVI° siècle, les tribunaux se sont déplacés pour siéger dans des lieux clos. A Avioth aussi, le tribunal eut à se chercher une salle fermée. Et la « Recevresse » acquit désormais une nouvelle utilité comme tronc à offrandes monumental, dans le domaine religieux cette fois.

Triskèle - Roses et trilobes

Dressée sur une plate-forme élevée de quelques marches, la « recevresse » se compose d'un petit espace de plan hexagonal délimité par quatre colonnes rondes à base hexagonale et à chapiteaux feuillagés et du côté nord par le soubassement d'une niche en saillie sur le mur du cimetière. Au-dessus des colonnes, une claire-voie ornée de roses délicates et de trilobes, porte des fenêtres à doubles lancettes jadis vitrées et dont l'arc en accolade se prolonge par un pinacle. Les contreforts surmontés aussi de pinacles à crochets et réunis par une haute balustrade sont creusés de niches aujourd'hui vides. L'édicule est couvert d'une voûte d'ogives à six quartiers dont les nervures retombent en pénétration et dont l'extrados porte une gracieuse pyramide hexagonale ajourée. 

Culots et baldaquins témoignent de la présence de statuettes (détruites pendant la Révolution.)

La « Recevresse » était décorée extérieurement et intérieurement par toute une série de statues qui ont été détruites pendant la Révolution. Culots et baldaquins sont toujours en place. Nous pourrions certainement nous faire une meilleure idée de l'édifice si ces personnages étaient encore là. Ils rappelaient vraisemblablement le thème de la justice. On peut aussi imaginer des ducs, des princes-électeurs, des empereurs, souvent représentés dans les lieux où les tribunaux siégeaient. Mais il ne reste rien de l'aménagement intérieur de la « recevresse ». Les bancs et la table étaient peut-être en bois. Le tronc qui apparaît dans les dessins de Viollet-le-Duc et Boswillwald et qui a été enlevé au cours de la restauration, peut-il avoir été l'ancienne table du tribunal ?



La niche, qui ne devait abriter à l'origine qu'une statue de la Vierge, comme le dit le curé Delhotel, a été agrandie vers 1700 pour recevoir un autel creusé d'une cavité carrée et surmontée en 1802 d'une Vierge à l'Enfant en bois destinée à remplacer l'ancienne effigie détruite à la Révolution dont seule, sans doute, la tête subsiste. Au-dessus de la niche pend encore une chaîne, don d'un prisonnier échappé aux Turcs (ces ex-voto étaient nombreux autrefois, mais les Croates pendant la guerre de Trente Ans s'en sont emparés pour en ferrer leurs chevaux).

Cette statue de la Vierge à l'Enfant date de 1802 ; elle remplaça l'originale détruite lors de la Révolution. Vandalisée en 1988, elle a été restaurée par Monsieur Charles Angiolini de Thonne-la-Long.

Contre le mur de la chapelle, à gauche de l'autel, est sculpté en bas-relief un écu fascé sans indication d'émaux (en fait : fascé d'or et d'azur de six pièces), penché, timbré d'un casque à volet ou mantelet et soutenu à dextre par un lion, à senestre par un griffon. Ces armes sont celles des Rodemack. On a d'abord établi une relation avec Rolin de Rodemack qui avait été élu évêque de Verdun en 1380, dont l'élection n'a pas été confirmée, et qui est encore cité en 1408. Mais il est difficile de prouver une relation entre ce Rolin et Avioth, alors qu'elle tombe sous le sens en ce qui concerne son frère Gilles. Il est en effet attesté que Gilles de Rodemack a joué un rôle important comme prévôt luxembourgeois de Montmédy de 1384 à 1427, et comme gouverneur de la partie wallonne du duché, en particulier sous le règne d'Elisabeth de Gorlitz. En tant que prévôt, il était le représentant direct du maître du pays et possédait le droit de haute justice. Comme les autres tribunaux municipaux, le tribunal des échevins d'Avioth n'a jamais exercé que des droits de basse et moyenne justice. 

L'écu de la famille Rodemack

Et si les armes de Gilles de Rodemack se trouvaient dans l'édifice, c'était d'abord pour attester la souveraineté luxembourgeoise. Au Moyen Age, la souveraineté était étroitement liée à la personne, il ne faut donc pas s'étonner de trouver l'écu d'une haute personnalité à cet endroit et dans cette fonction. D'autre part, le droit du prévôt de rendre la justice en dernier ressort était symbolisé par la présence des armoiries et ce prévôt, ainsi qu'il est attesté en d'autres lieux, a vraisemblablement présidé des jugements dans cet édifice. Peut-être aussi la présence de ces armes montre-t-elle qu'une partie des anciennes compétences du tribunal des échevins d'Avioth avait été transférée au tribunal prévôtal.

Fenêtres à doubles lancettes autrefois vitrées ? 

Les quatre colonnes rondes à base hexagonale et à chapiteaux feuillagés,
l’autel enclavé dans la niche


Source : Congrès archéologique de France 1991/ gallica.bnf.fr (rédaction : Simone Collin-Roset)

[Description de la Recevresse par Eugène Viollet-le-Duc dans le dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle (1854-1868)  : Cette chapelle est placée près de la porte d’entrée du cimetière ; elle s’élève sur une plate-forme élevée d’un mètre environ au-dessus du sol ; l’autel est enclavé dans la niche A, fig. 19 et 20 ; à côté est une petite piscine. Au milieu de la chapelle est placé un tronc en pierre B, d’une grande dimension, pour recevoir les dons que les assistants s’empressaient d’apporter pour le repos des âmes du purgatoire. La messe dite, le prêtre sortait de la chapelle, s’avançait sur la plate-forme pour exhorter les fidèles à prier pour les morts, et donnait la bénédiction. On remarquera que cette chapelle est adroitement construite pour laisser voir l’officiant à la foule et pour l’abriter autant que possible du vent et de la pluie. Au-dessus des colonnes courtes, qui, avec leur base et chapiteau n’ont plus de deux mètres de haut, est posée une claire-voie ; sorte de balustrade qui porte des fenêtres vitrées. Il est à croire que du sommet de la voûte pendait un fanal allumé la nuit, suivant l’usage ; la partie supérieure de la chapelle devenait ainsi une grande lanterne.]

Plan de la Recevresse 
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - article : chapelle)
Coupe de la Recevresse 
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - article : chapelle)
Vue perspective de la Recevresse 
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - article : chapelle)
Source : wikisource.org

La restauration de la Recevresse (après 1940)

Les protections mises en place au sein de l'église, sur une partie de la Recevresse, ainsi que le déplacement de certaines œuvres ne purent empêcher la seconde guerre mondiale de faire souffrir l'Eglise Notre-Dame d'Avioth. Les Français ayant observé une présence ennemie dans les combles de l'église, tirèrent sur l'observatoire allemand et commirent des dégâts majeurs sur la Recevresse ; toute sa flèche fut détruite.
Heureusement grâce à un moulage réalisé en 1898 pour l'exposition universelle de Paris de 1900, une copie exacte existait toujours et la pointe put être reconstruite à l'identique !  En plus de la Recevresse, la Chapelle St Jean a beaucoup souffert de ces bombardements, ainsi que deux gargouilles, l'un des médaillons, la balustrade Renaissance, les fenestrages, les murs ainsi que les galbes. Les véritables travaux de reconstruction purent être entrepris seulement à la fin de l'occupation. C'est l'entreprise Bourgogne et Franche-comté qui fut embauchée pour réaliser les travaux. Entre 1945 et 1948, le coût de cette rénovation a atteint environ 3 800 000 francs français, soit environ 579 306 euros.

Source : panneaux d’information à l’intérieur de la basilique


Le sanctuaire à répit 

Un sanctuaire à répit est un type de lieu saint rencontré en pays de tradition catholique. Selon la croyance populaire en certaines provinces, le « répit » est, chez un enfant mort-né, un retour temporaire à la vie le temps de lui conférer le baptême avant la mort définitive. Ayant été baptisé, l’enfant pourra de ce fait entrer en paradis au lieu d’errer éternellement dans les limbes où il serait privé de la vision de Dieu. Le répit n’est possible qu’en certains sanctuaires, le plus souvent consacrés à la Vierge dont l’intercession est nécessaire pour obtenir un miracle. 
La construction de l’église d'Avioth au XIIIe siècle s'explique justement par la découverte, deux siècles plus tôt, d'une statue miraculeuse de la Vierge. Les pèlerins qui venaient implorer cette dernière déposaient leurs offrandes dans la Recevresse. De nombreux parents transportaient le corps de leur enfant mort-né jusqu'à la statue miraculeuse, installée dans l’église Notre-Dame. Ils attendaient le signe de vie (changement de couleur, mouvement du corps saignement, sueur chaude) qui permettrait au prêtre de le baptiser. À Avioth, on estime à 138 le nombre de miracles qui y furent recensés aux XVIe et XVIIe s. Dès 1658, l'évêque de Toul interdit la pratique des répits ; le pape Benoit XIII la condamna en 1729. Dans le petit village du Nord meusien, elle perdurera clandestinement jusqu'au milieu du XIXe siècle.



Photos du moulage de la Recevresse dans les murs de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine (Paris) : https://tinyurl.com/2xccd3cb 

La Recevresse et la publicité (début des années 1970) pour une compagnie aérienne française, aujourd’hui disparue (UTA pour ne pas la nommer), sur le site du Musée des Arts Décoratifs : https://tinyurl.com/2p8bztz3


Conclusion : La Recevresse, malgré les nombreux écrits qu’elle a suscités, reste encore aujourd’hui un monument à la vocation originelle assez floue tant les théories à son sujet sont nombreuses. Aussi nombreuses que les légendes qui planent autour de ce lieu sacré.

Spectacle Avioth, les origines (17 septembre - 17 octobre 2021)