À proximité du portail Sud de la basilique Notre-Dame d’Avioth, s’élève une petite construction unique au monde : la Recevresse. Voici un article détaillé sur ce petit monument (classé monument historique depuis 1862), publié dans le 149e Congrès archéologique de France en 1991, et rédigé par Mme Simone Collin-Roset. Source : gallica.bnf.fr
Au sud de l'église, adossé à l'enceinte extérieure de l'ancien cimetière, se dresse un charmant « édicule, ravissant de grâce et de délicatesse, sorte de chapelle hexagonale ajourée de tous côtés, à deux étages », couronnée par un clocheton. Unique en son genre, il a intrigué les archéologues du XIX° siècle qui y ont vu qui un « baptistère saracénique », qui une chapelle sépulcrale, qui une lanterne des morts (Viollet-le-Duc pour cette dernière hypothèse.)
Le curé Delhotel à la fin du XVIIe siècle raconte que « le jour de la fête de la décollation de saint Jean, chacun an, tous les villages voisins avaient coutume par un zèle de charité, d'amener une charretée de blé en aumône, au profit de Notre-Dame d'Avioth, collecté de maison en maison, en sorte que cette récolte, chacun an, rapportait trente muids de grains (1 muid = 160 litres, en Lorraine) (...) Et se faisait aussi aumône d'animaux, de deniers, de linges, cires, torches (...) et cierges que le monde offrait en oblation devant l'image de Notre-Dame hors l'église que nous disons encore la Recepvresse où il y a une structure en façon de pyramide, la plus belle et la plus rare et magnifiquement bâtie qui se puisse rencontrer dans toute la province (...)
Et présentement ces pieuses coutumes de libéralité sont du tout assoupies et éteintes tant pour le refroidissement de la charité que pour la malignité des temps qui a empêché la continuation de telles bonnes œuvres ». Le curé Delhotel nous donne là d'une part l'origine du nom actuel de la « recevresse » (employé seulement depuis 1882) qui était alors celui de la Vierge qui y était abritée, d'autre part l'usage qui en était fait avant qu'il soit curé d'Avioth. Un tronc y fut placé. Un autel y fut installé, ce qui a fait parler de chapelle pour dire des offices en plein air, mais cet autel n'a été placé là que vers 1700, lorsqu'on a élargi dans cette intention la niche abritant la Vierge.
En fait, il semble bien que ce soit Wolfgang Laufer, en 1972, qui ait définitivement élucidé le mystère : au début du xv° siècle, la cité d'Avioth était très vivante, remplie de bourgeois, de pèlerins, de marchands. A proximité de la « recevresse » s'élevait la croix d'affranchissement portant « deux hures de sanglier » (Delhotel, p. 57) et il est vraisemblable que cette « recevresse » était le lieu où siégeait le tribunal des échevins qui se trouvait être en même temps la plus haute instance administrative de la communauté. Elle était ainsi si l'on peut dire « l'hôtel de ville » d'Avioth affranchie. Vers 1230, peu après l'affranchissement de la ville, le tribunal des échevins tenait ses sessions au cimetière.
Sur ce dessin de 1830, apparait la « croix de justice », symbole de l'affranchissement, privilège qui fut accordé à Avioth en juillet 1223 |
Eglises et cimetières avaient en effet très tôt été utilisés pour les tribunaux laïcs. Il est possible qu'un peu plus tard, le siège des sessions du tribunal d'Avioth ait été déplacé de l'intérieur du cimetière jusqu'à son portail, c'est-à-dire à l'endroit où fut érigée plus tard la « recevresse », à côté de l'entrée monumentale du cimetière. Il est possible également qu'une construction en bois ait précédé le bâtiment de pierre. De telles constructions étaient chose courante au Moyen Age. Et leur disparition s'explique aisément. Les structures en bois se sont dégradées ou ont été démolies dès qu'on n'en a plus eu l'utilisation. Souvent aussi elles ont été remplacées par des constructions en pierre dans les hôtels de ville ou à proximité immédiate. Les tribunaux siégeaient en plein air. Lorsqu'on se mit à rendre la justice dans des bâtiments clos, la publicité des jugements fut assurée en ouvrant les fenêtres ou en aménageant une ouverture dans le toit.
A quelle date la « recevresse » d'Avioth a-t-elle perdu sa fonction ? Les indications données par le curé Delhotel montrent qu'on ne savait plus rien de son ancienne vocation dès le début du XVII° siècle. Faut-il attribuer aux malheurs de la guerre l'oubli dans lequel elle était tombée ? Cependant ce n'est pas à la suite d'un changement dans l'organisation municipale que l'édifice fut abandonné. Le tribunal des échevins a continué à exister même après le transfert de Montmédy à la France (Traité des Pyrénées, 1659) : il est encore cité en 1750. Mais dès le XVI° siècle, les tribunaux se sont déplacés pour siéger dans des lieux clos. A Avioth aussi, le tribunal eut à se chercher une salle fermée. Et la « Recevresse » acquit désormais une nouvelle utilité comme tronc à offrandes monumental, dans le domaine religieux cette fois.
Triskèle - Roses et trilobes
Dressée sur une plate-forme élevée de quelques marches, la « recevresse » se compose d'un petit espace de plan hexagonal délimité par quatre colonnes rondes à base hexagonale et à chapiteaux feuillagés et du côté nord par le soubassement d'une niche en saillie sur le mur du cimetière. Au-dessus des colonnes, une claire-voie ornée de roses délicates et de trilobes, porte des fenêtres à doubles lancettes jadis vitrées et dont l'arc en accolade se prolonge par un pinacle. Les contreforts surmontés aussi de pinacles à crochets et réunis par une haute balustrade sont creusés de niches aujourd'hui vides. L'édicule est couvert d'une voûte d'ogives à six quartiers dont les nervures retombent en pénétration et dont l'extrados porte une gracieuse pyramide hexagonale ajourée.
La « Recevresse » était décorée extérieurement et intérieurement par toute une série de statues qui ont été détruites pendant la Révolution. Culots et baldaquins sont toujours en place. Nous pourrions certainement nous faire une meilleure idée de l'édifice si ces personnages étaient encore là. Ils rappelaient vraisemblablement le thème de la justice. On peut aussi imaginer des ducs, des princes-électeurs, des empereurs, souvent représentés dans les lieux où les tribunaux siégeaient. Mais il ne reste rien de l'aménagement intérieur de la « recevresse ». Les bancs et la table étaient peut-être en bois. Le tronc qui apparaît dans les dessins de Viollet-le-Duc et Boswillwald et qui a été enlevé au cours de la restauration, peut-il avoir été l'ancienne table du tribunal ?
La niche, qui ne devait abriter à l'origine qu'une statue de la Vierge, comme le dit le curé Delhotel, a été agrandie vers 1700 pour recevoir un autel creusé d'une cavité carrée et surmontée en 1802 d'une Vierge à l'Enfant en bois destinée à remplacer l'ancienne effigie détruite à la Révolution dont seule, sans doute, la tête subsiste. Au-dessus de la niche pend encore une chaîne, don d'un prisonnier échappé aux Turcs (ces ex-voto étaient nombreux autrefois, mais les Croates pendant la guerre de Trente Ans s'en sont emparés pour en ferrer leurs chevaux).
Cette statue de la Vierge à l'Enfant date de 1802 ; elle remplaça l'originale détruite lors de la Révolution. Vandalisée en 1988, elle a été restaurée par Monsieur Charles Angiolini de Thonne-la-Long.
Contre le mur de la chapelle, à gauche de l'autel, est sculpté en bas-relief un écu fascé sans indication d'émaux (en fait : fascé d'or et d'azur de six pièces), penché, timbré d'un casque à volet ou mantelet et soutenu à dextre par un lion, à senestre par un griffon. Ces armes sont celles des Rodemack. On a d'abord établi une relation avec Rolin de Rodemack qui avait été élu évêque de Verdun en 1380, dont l'élection n'a pas été confirmée, et qui est encore cité en 1408. Mais il est difficile de prouver une relation entre ce Rolin et Avioth, alors qu'elle tombe sous le sens en ce qui concerne son frère Gilles. Il est en effet attesté que Gilles de Rodemack a joué un rôle important comme prévôt luxembourgeois de Montmédy de 1384 à 1427, et comme gouverneur de la partie wallonne du duché, en particulier sous le règne d'Elisabeth de Gorlitz. En tant que prévôt, il était le représentant direct du maître du pays et possédait le droit de haute justice. Comme les autres tribunaux municipaux, le tribunal des échevins d'Avioth n'a jamais exercé que des droits de basse et moyenne justice.
L'écu de la famille Rodemack |
Et si les armes de Gilles de Rodemack se trouvaient dans l'édifice, c'était d'abord pour attester la souveraineté luxembourgeoise. Au Moyen Age, la souveraineté était étroitement liée à la personne, il ne faut donc pas s'étonner de trouver l'écu d'une haute personnalité à cet endroit et dans cette fonction. D'autre part, le droit du prévôt de rendre la justice en dernier ressort était symbolisé par la présence des armoiries et ce prévôt, ainsi qu'il est attesté en d'autres lieux, a vraisemblablement présidé des jugements dans cet édifice. Peut-être aussi la présence de ces armes montre-t-elle qu'une partie des anciennes compétences du tribunal des échevins d'Avioth avait été transférée au tribunal prévôtal.
Fenêtres à doubles lancettes autrefois vitrées ? |
Les quatre colonnes rondes à base hexagonale et à chapiteaux feuillagés, l’autel enclavé dans la niche |
Source : Congrès archéologique de France 1991/ gallica.bnf.fr (rédaction : Simone Collin-Roset)
[Description de la Recevresse par Eugène Viollet-le-Duc dans le dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle (1854-1868) : Cette chapelle est placée près de la porte d’entrée du cimetière ; elle s’élève sur une plate-forme élevée d’un mètre environ au-dessus du sol ; l’autel est enclavé dans la niche A, fig. 19 et 20 ; à côté est une petite piscine. Au milieu de la chapelle est placé un tronc en pierre B, d’une grande dimension, pour recevoir les dons que les assistants s’empressaient d’apporter pour le repos des âmes du purgatoire. La messe dite, le prêtre sortait de la chapelle, s’avançait sur la plate-forme pour exhorter les fidèles à prier pour les morts, et donnait la bénédiction. On remarquera que cette chapelle est adroitement construite pour laisser voir l’officiant à la foule et pour l’abriter autant que possible du vent et de la pluie. Au-dessus des colonnes courtes, qui, avec leur base et chapiteau n’ont plus de deux mètres de haut, est posée une claire-voie ; sorte de balustrade qui porte des fenêtres vitrées. Il est à croire que du sommet de la voûte pendait un fanal allumé la nuit, suivant l’usage ; la partie supérieure de la chapelle devenait ainsi une grande lanterne.]
Plan de la Recevresse (Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - article : chapelle) |
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Vue perspective de la Recevresse (Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - article : chapelle) Source : wikisource.org |
La restauration de la Recevresse (après 1940)
Les protections mises en place au sein de l'église, sur une partie de la Recevresse, ainsi que le déplacement de certaines œuvres ne purent empêcher la seconde guerre mondiale de faire souffrir l'Eglise Notre-Dame d'Avioth. Les Français ayant observé une présence ennemie dans les combles de l'église, tirèrent sur l'observatoire allemand et commirent des dégâts majeurs sur la Recevresse ; toute sa flèche fut détruite.
Heureusement grâce à un moulage réalisé en 1898 pour l'exposition universelle de Paris de 1900, une copie exacte existait toujours et la pointe put être reconstruite à l'identique ! En plus de la Recevresse, la Chapelle St Jean a beaucoup souffert de ces bombardements, ainsi que deux gargouilles, l'un des médaillons, la balustrade Renaissance, les fenestrages, les murs ainsi que les galbes. Les véritables travaux de reconstruction purent être entrepris seulement à la fin de l'occupation. C'est l'entreprise Bourgogne et Franche-comté qui fut embauchée pour réaliser les travaux. Entre 1945 et 1948, le coût de cette rénovation a atteint environ 3 800 000 francs français, soit environ 579 306 euros.
Source : panneaux d’information à l’intérieur de la basilique
Le sanctuaire à répit
Un sanctuaire à répit est un type de lieu saint rencontré en pays de tradition catholique. Selon la croyance populaire en certaines provinces, le « répit » est, chez un enfant mort-né, un retour temporaire à la vie le temps de lui conférer le baptême avant la mort définitive. Ayant été baptisé, l’enfant pourra de ce fait entrer en paradis au lieu d’errer éternellement dans les limbes où il serait privé de la vision de Dieu. Le répit n’est possible qu’en certains sanctuaires, le plus souvent consacrés à la Vierge dont l’intercession est nécessaire pour obtenir un miracle.
La construction de l’église d'Avioth au XIIIe siècle s'explique justement par la découverte, deux siècles plus tôt, d'une statue miraculeuse de la Vierge. Les pèlerins qui venaient implorer cette dernière déposaient leurs offrandes dans la Recevresse. De nombreux parents transportaient le corps de leur enfant mort-né jusqu'à la statue miraculeuse, installée dans l’église Notre-Dame. Ils attendaient le signe de vie (changement de couleur, mouvement du corps saignement, sueur chaude) qui permettrait au prêtre de le baptiser. À Avioth, on estime à 138 le nombre de miracles qui y furent recensés aux XVIe et XVIIe s. Dès 1658, l'évêque de Toul interdit la pratique des répits ; le pape Benoit XIII la condamna en 1729. Dans le petit village du Nord meusien, elle perdurera clandestinement jusqu'au milieu du XIXe siècle.
Photos du moulage de la Recevresse dans les murs de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine (Paris) : https://tinyurl.com/2xccd3cb
La Recevresse et la publicité (début des années 1970) pour une compagnie aérienne française, aujourd’hui disparue (UTA pour ne pas la nommer), sur le site du Musée des Arts Décoratifs : https://tinyurl.com/2p8bztz3
Conclusion : La Recevresse, malgré les nombreux écrits qu’elle a suscités, reste encore aujourd’hui un monument à la vocation originelle assez floue tant les théories à son sujet sont nombreuses. Aussi nombreuses que les légendes qui planent autour de ce lieu sacré.
Spectacle Avioth, les origines (17 septembre - 17 octobre 2021) |
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