29/03/2022

Le calvaire de l’église Saint-Etienne (Bar-le-Duc)

Le texte ci-dessous est extrait du Congrès archéologique de France : séances générales tenues par la Société française pour la conservation des monuments historiques (1991) - Texte : Georges Fréchet - https://gallica.bnf.fr/accueil/fr/

Le Christ et les deux larrons

Enfin replacé dans le chœur, cet ensemble de sculpture en bois polychrome est peut-être ce qui attire le plus l'œil en entrant dans l'église. Pourtant cela n'a pas été sans diverses vicissitudes. Ce Calvaire, dont il ne reste actuellement que le Christ en croix (h. 3,42 m) et les deux larrons (h. 2,10 m), se dressait vraisemblablement à l'origine sur le jubé. Celui-ci ayant été détruit en 1704, Aimond suppose que ce fut l'occasion de la translation du groupe au fond de l'abside, sur le socle de pierre qui existe encore actuellement. On trouve alors la première description, qui semble être restée inaperçue malgré la publication d'Aimond : Longeaux révèle que ce crucifix avait à ses pieds la statue agenouillée du chanoine Robert de La Mothe, certainement le donateur, qui vivait entre 1507 et 1539.


Le bon larron
Le mauvais larron

La description suivante apparaît dans l'inventaire révolutionnaire de 1790, le « Grand Christ » étant toujours à la place qu'il occupera jusqu'en 1855. Les trois crucifiés sont alors déplacés et suspendus aux piliers droits de la nef, cependant que le socle du XVIII° siècle devenait fonts baptismaux. On est donc sûr de l'existence à Saint-Pierre d'un groupe, assez vague dans les inventaires révolutionnaires, mais offert par un membre même de la collégiale à l'époque de Ligier-Richier, et c'est d'une importance considérable pour l'attribution de ce chef-d'œuvre. Est ainsi levée l'hypothèque d'un transfert du calvaire décrit par Chatourup à Notre-Dame de Bar-le-Duc en 1532. Pour celui-ci on ne précisait d'ailleurs pas l'existence des deux larrons.

Reste l'évidence du style, qui est la seule base d'attribution. Elle a souvent été mise en doute. L'un des arguments les plus sérieux est celui de la divergence entre le Christ, maigre, immobile et au visage assez doux, et les larrons qui, « bon » (à gauche) comme « mauvais » (à droite) font saillir leurs muscles, « se convulsent frénétiquement » et leurs traits sont violemment expressifs. Mais il n'y a là que tradition iconographique : le Sauveur est maigre à cause des privations et des supplices, il est droit et calme parce que son sort est accepté; les deux autres sont dans l'art gothique toujours attachés avec des cordes et leurs poses contorsionnées apparaissent fréquemment dans les retables et les miniatures du XV° siècle, mais par rapport à ces modèles, Mile Beaulieu remarque justement qu'ils sont « apaisés » et envisage pour cela la main de Richier, alors qu'elle trouve le Christ trop raide pour être du maître. Mais en fait l'anatomie est beaucoup plus similaire qu'on ne l'a dit. On retrouve dans les trois personnages les mêmes aréoles pointues et une forme curieusement concave du sternum. 

En outre, les yeux, dans chaque cas, présentent les fameuses paupières à bourrelets reconnues depuis longtemps comme caractéristique » de Richier. Du point de vue de l’expression un certain pathos apparaît dans les «bouches entr’ouvertes. M. Van Hees établi la ressemblance physionomique avec le Christ de la Pitié d’Étain. La comparaison se fait surtout avec le Crucifié et les larrons de Briey. Bien que les poses soient pratiquement identiques, les visages y sont plus doux, les anatomies plus académiques.

Le calvaire a été classé monument historique en 1898.

27/03/2022

Le vitrail de saint Arnould (Musée de la bière de Stenay)

 Le vitrail de saint Arnould  a été réalisé en 1926 dans l’atelier nancéien Janin-Benoit par le maître-verrier Georges Janin (1884-1955). Initialement, il décorait le Palais de la Bière, un hôtel-restaurant-brasserie-dancing construit en 1924 et situé rue Saint-Jean à Nancy dépendant des Brasseries de Champigneulles. 

Le vitrail de saint Arnould après sa restauration

De style Art Déco, ce triptyque relate le miracle de saint Arnould (582-641), un évêque de Metz après avoir sauvé de la soif le cortège qui rapatriait ses cendres. En effet, le saint patron des brasseurs exauça les prières des pèlerins qui manquaient d’eau et de vivres, en remplissant de bière chopes,  jarres et tonneaux. Cette œuvre mesure 2,81 x 1,50 m. Elle est caractérisée par des graphismes simples et une gamme de couleurs réduite. Elle a fait l’objet d’une restauration complète en 2016-2017.

Le vitrail de saint Arnould avant la restauration de 2016-2017







Le vitrail de saint Arnould a été acheté en 1987 par la Conservation Départementale des Musées de la Meuse et mis en dépôt au musée de la bière de Stenay quelques années plus tard. Le vitrail de saint Arnould reste aujourd’hui une des pièces majeures de la collection du musée.

Le miracle de saint Arnould - Pierre Dié-Mallet (Musée de la bière de Stenay)


Saint Arnould [Source Wikipédia]

Peu connu , saint Arnould est né vers 582 et mort probablement en 640 ou 641. Il fut le 29e évêque de Metz. Il est fêté le 18 juillet. Son nom reste associé à un trésor de la cathédrale de Metz qui a miraculeusement échappé à la rapacité révolutionnaire : un anneau, en or fin massif, comportant une agate onyx sur laquelle est gravée un poisson engagé dans une nasse autour de laquelle se noient deux autres poissons. Cette scène n’est pas sans rappeler l’historique de cet anneau et rapporté par l’écrivain Paul Diacre, qui le tenait de la bouche même de Charlemagne. Selon cet auteur : « Saint Arnoul décida un beau jour de jeter son anneau dans la Moselle. Son geste est une preuve d’humilité. En le jetant, il dit : « Je croirai que Dieu m’a pardonné mes péchés quand je retrouverai cet anneau ». De là est née cette fameuse légende qui laisse penser qu’un poisson avala l’anneau et fut servi peu de temps après à la table épiscopale. À en croire la légende, Dieu est entré indirectement en contact avec Arnould qui fut lavé de ses péchés et fit de lui un représentant légitime de Dieu sur terre. » 

Cette légende fait écho à celle d’Orval : La veuve Mathilde, ayant par mégarde laissé tomber son anneau nuptial dans la fontaine de cette vallée, se mit à supplier Dieu, et aussitôt une truite apparut à la surface de l'eau, portant en sa gueule le précieux anneau. Mathilde s'écria alors : « Vraiment, c'est ici un Val d'or ! », et elle décida par reconnaissance de fonder un monastère en ce lieu béni.



20/03/2022

La Chanson du printemps (Musée de la Princerie, Verdun)


La Chanson du printemps est une huile sur toile peinte par l'artiste damvillois Jules Bastien-Lepage. Présentée au Salon de 1874, l'œuvre du jeune peintre alors âgé de 26 ans, a été acquise par l’Etat l’année suivante. Ce tableau, l'un des premiers de Bastien-Lepage, regroupe plusieurs genres : le portrait (la jeune fille) et les trois angelots musiciens (issus de l'enseignement académique), la scène paysanne (la jeune fille fatiguée après une journée de dur labeur et le village en arrière-plan) et la nature morte (bouquet de violettes déposé dans le panier de la jeune fille). Ce tableau de 148 cm x 100 cm est exposé au musée de la Princerie à Verdun.


 

16/03/2022

La Grande Fontaine (Lacroix sur Meuse)

Les fontaines sont conçues à partir du XVIIIe siècle pour amener l'eau au cœur des villages en captant les sources, et répondre aux besoins d'une population croissante. Elles sont en général fleuries et très bien entretenues. Lavoirs et fontaines étaient autrefois des éléments importants de la vie sociale, comme les commerces et l'église : c'était là que les femmes se retrouvaient les jours de lessive, et qu'on se rencontrait en venant puiser de l'eau. Délaissés depuis notamment l’apparition des lessiveuses à la fin du XIXe siècle, les lavoirs font désormais  partie du patrimoine local. 

La façade de la Grande Fontaine de Lacroix-sur-Meuse

La fontaine adossée au lavoir 

En 1836, le conseil municipal et le maire de Lacroix-sur-Meuse, Charles Leloup, désirent donner aux habitants une eau pure et abondante. Ils font alors construire quatre fontaines plus importantes que celles des localités voisines avec l'approbation du comte d'Arros, préfet de la Meuse. Ces fontaines seront réalisées par l'entreprise Toussaint suivant les plans de l'architecte départemental, Théodore Oudet (1793-1865). La façade antérieure, traitée avec une certaine emphase est vouée à la glorification municipale et à la fontaine. L'intérieur, exclusivement fonctionnel, accueille le lavoir de facture plus traditionnelle.


Située rue du Général de Gaulle (face à la mairie), la façade de la fontaine-lavoir représente Neptune, Dieu de la mer et son épouse Amphitrite, reine de la mer. Elle abrite également un lavoir en parfait état. 
Endommagée au cours de la Première Guerre mondiale, la fontaine a été restaurée en 1926 par Duilio Donzelli. La fontaine est classée et le lavoir est inscrit à l'inventaire des monuments historiques  depuis décembre 1980).

Les ruines du lavoir en 1918


 

MOSÆ PRÆFECTURAM 

GUBERNANTI - COMTIE D’ARROS : 

REMQ - PAGI - CRUCIS - AD - MOSAM

CUSTODIENTE - C - LELOUP

MUNICIPALIS - COMMUNI - CŒTUS

FAVENTE - SUFFRAGIO 




PAGI - MAGISTRATUS

FELICIS - UNDÆ - CIVIBUS - SUIS 

MINISTRANDÆ - STUDIO - CONCITI 

GRATUM - INCOLIS - OPUS

DECUSO - LOCIS - QUATUOR - FONTES

ERIGI - CURAVERUNT


Le fronton de l’ouverture en arc de plein ceintre qui surplombe majestueusement le bassin de la fontaine qui lui est bordé d’une longue inscription latine : HIC MUSA FECUNDA SUO FLUCTU PRATA FERAGI ILLIC INDIGENAS FONS ULMEUS ALLUIT UNDA

"Là-bas, c'est la Meuse qui, de ses flots majestueux féconde les prairies étendues le long de ses rives ; Là, c'est une fontaine couverte qui fournit une onde jaillie des entrailles même du sol." 


La commune a souhaité inscrire la Grande Fontaine de Lacroix-sur-Meuse au projet « Parcours Façades 2021 » proposé par L’Esperluette avec l’œuvre d’Isabelle Adelus & Suran.



https://fb.watch/bI1RpQpzH6/


13/03/2022

La nécropole nationale de Brieulles-sur-Meuse

À Brieulles-sur-Meuse se trouve l’une des 40 nécropoles nationales que compte le département de la Meuse. Créée entre1920, elle regroupe les corps de 2572 soldats tombés principalement lors de la Grande Guerre en 1914 (bataille des frontières) et en 1918 (offensive Meuse-Argonne) ainsi que 24 soldats morts durant la Seconde Guerre mondiale. Deux ossuaires renferment les cendres de 1520 soldats non identifiés. Les 1052 autres soldats reposent dans des tombes individuelles. La superficie de la nécropole est de 8015 m2.


Le 26 août 1914, Le 5ème corps français, l'artillerie de corps et 3 bataillons, assurent la défense  des côtes, de Brieulles vers Dannevoux. Ils se relient sur leur gauche au 4ème corps et sur leur droite au 6ème corps qui se charge de la couverture jusqu'à Cumières. Le 27 août, les 12ème et 9ème divisions d'infanterie assurent la défense des passages de La Meuse sur le secteur de Brieulles. Le 30 août, dans la crainte d'une attaque probable, la 9ème division étend sa couverture jusqu'à Dun, avec le 6ème corps à sa droite. Le 3ème groupe du 30ème régiment d'artillerie de campagne, positionné dans le bois de Forêt, prend sous son feu l'infanterie et l'artillerie ennemies en position à Liny-devant-Dun. Les 23ème et 24ème brigades de la 12ème division, occupent le bois de Brieulles avec 4 compagnies en avant-poste pour surveiller la Meuse. Des batteries de canons de 120 longs du 6 ème corps, s'installent vers Cunel, Romagne, Brieulles et Clery-le-Petit et prennent pour objectifs les ponts de Dun, de Sassey, le bois de Mont et le débouché de la route de Villers à Montigny. Le bataillon de projecteurs envoie 4 appareils de 35 millimètres au 67ème régiment d'infanterie. Le 31 août, la 9ème division du 5ème corps porte ses avant-postes en bordure de la Meuse de Brieulles vers Doulcon. La 12ème division du 6ème corps signale que Brieulles est fortement canonné. En soirée, le 16ème corps allemand qui vient de passer la Meuse à Vilosnes, lance une attaque vigoureuse.

Les cimetières militaires français et allemands de Brieulles-sur-Meuse regroupent un grand nombre de soldats, tués pendant ces opérations.

A Brieulles reposent, à côté des morts de 1918, les morts d'août 1914, dans les combats de Beauclair, Cesse, Inor, lors des contre-attaques de la 4º armée française du général de Langle de Cary, ainsi que des prisonniers civils belges, des déportés des Z.A.B. (bataillons de travailleurs civils ; ils étaient contraints par l'ennemi) décédés de mauvais traitements et de maladie à l'instar des prisonniers de guerre russes inhumés à Brieulles et à Chestres (08).

1914-1918 

2389 Français
35 Belges
1 Britannique
123 Russes 

1939-1945 : 
24 Français 









Chronologie

1920 : création (Batailles de la Meuse, 1914-18).

1920 à 1924 : regroupement des corps exhumés de tombes et de cimetières militaires situés essentiellement dans les secteurs de Stenay et Dun-sur-Meuse, mais également dans ceux de Montmédy et Damvillers (Aincreville, Beauclair, Cesse, Cierges-sous-Montfaucon, Cléry le Grand, Consenvoye, Damvillers, Dannevoux, Dun-sur-Meuse, Doulcon, Epinonville, Gercourt et Drillancourt, Gesnes-en-Argonne, Inor, Liny-devant-Dun, Lissey, Luzy-Saint-Martin, Mont-devant-Sassey, Montfaucon, Montmédy, Peuvillers, Romagne-sous-Montfaucon, Stenay, Vislones-Haraumont, Wavrille)

1976 : réfection totale.

10/03/2022

Verrières du chœur de l'église (Bréhéville)

 Voici 3 jolies verrières modernes installées dans le chœur de l’église Saint-Jean-Baptiste de Bréhéville. Elles sont l’œuvre de Marc Houpert, collaborateur des ateliers Benoit à Nancy. Elles datent probablement de la fin des années 1960 ou du début des années 1970. 






08/03/2022

Le mausolėe des époux Saintignon (Verdun)

 Dans la grande salle du rez-de-chaussée du musée de la Princerie de Verdun, réservée à la statuaire médiévale, figure en bonne place, l’une des plus belles pièces du musée d’Art et d’Histoire verdunois : le mausolée des époux Saintignon. Au pied du gisant, un cartel émaillé vintage provenant de la quincaillerie Thore de Verdun, indique que « Ce mausolée était dans l’Église des frères Prêcheurs qui se trouvait sur l’emplacement de la synagogue actuelle. » 



 

Les deux époux nés au XVIe siècle sont François de Saintignon, bailly de l'évêché et Comte de Verdun, chambellan du Duc de Lorraine mort le 8 mars 1595 et son épouse Claude de Failly, morte le 21 mai 1593.





Source : Maison de Saintignon - Abbé Jean-Jacques Lyonnois (1778) - gallica.bnf.fr



Blason de la famille de Saintignon - De gueules à trois tours d'or, ajourées et maçonnées de sable, 2 et 1


La famille de Saintignon est une famille subsistante de la noblesse française originaire de Verdun, elle est citée dès le XVe siècle. Plus tard, l’un de ses descendants se distinguera dans l’industrie sidérurgique, le comte Fernand de Saintignon, né le 26 janvier 1846 à Thionville et mort le 1er janvier 1921 à Longwy. C’est également lui qui tentera de faire de Longwy une ville thermale dans les années 1910, mais la Grande Guerre et le décès du comte mettront un terme définitif à son projet.
 
🚰 Voir l'étiquette recouvrant les bouteilles d'eau en 1910 (Eau des Récollets)


06/03/2022

La Recevresse (Avioth)

À proximité du portail Sud de la basilique Notre-Dame d’Avioth, s’élève une petite construction unique au monde : la Recevresse. Voici un article détaillé sur ce petit monument (classé monument historique depuis 1862), publié dans le 149e Congrès archéologique de France en 1991, et rédigé par Mme Simone Collin-Roset. Source : gallica.bnf.fr

Au sud de l'église, adossé à l'enceinte extérieure de l'ancien cimetière, se dresse un charmant « édicule, ravissant de grâce et de délicatesse, sorte de chapelle hexagonale ajourée de tous côtés, à deux étages », couronnée par un clocheton. Unique en son genre, il a intrigué les archéologues du XIX° siècle qui y ont vu qui un « baptistère saracénique », qui une chapelle sépulcrale, qui une lanterne des morts (Viollet-le-Duc pour cette dernière hypothèse.) 

                            
Le curé Delhotel à la fin du XVIIe siècle raconte que « le jour de la fête de la décollation de saint Jean, chacun an, tous les villages voisins avaient coutume par un zèle de charité, d'amener une charretée de blé en aumône, au profit de Notre-Dame d'Avioth, collecté de maison en maison, en sorte que cette récolte, chacun an, rapportait trente muids de grains (1 muid = 160 litres, en Lorraine) (...) Et se faisait aussi aumône d'animaux, de deniers, de linges, cires, torches (...) et cierges que le monde offrait en oblation devant l'image de Notre-Dame hors l'église que nous disons encore la Recepvresse où il y a une structure en façon de pyramide, la plus belle et la plus rare et magnifiquement bâtie qui se puisse rencontrer dans toute la province (...) 

Et présentement ces pieuses coutumes de libéralité sont du tout assoupies et éteintes tant pour le refroidissement de la charité que pour la malignité des temps qui a empêché la continuation de telles bonnes œuvres ». Le curé Delhotel nous donne là d'une part l'origine du nom actuel de la « recevresse » (employé seulement depuis 1882) qui était alors celui de la Vierge qui y était abritée, d'autre part l'usage qui en était fait avant qu'il soit curé d'Avioth. Un tronc y fut placé. Un autel y fut installé, ce qui a fait parler de chapelle pour dire des offices en plein air, mais cet autel n'a été placé là que vers 1700, lorsqu'on a élargi dans cette intention la niche abritant la Vierge.



En fait, il semble bien que ce soit Wolfgang Laufer, en 1972, qui ait définitivement élucidé le mystère : au début du xv° siècle, la cité d'Avioth était très vivante, remplie de bourgeois, de pèlerins, de marchands. A proximité de la « recevresse » s'élevait la croix d'affranchissement portant « deux hures de sanglier » (Delhotel, p. 57) et il est vraisemblable que cette « recevresse » était le lieu où siégeait le tribunal des échevins qui se trouvait être en même temps la plus haute instance administrative de la communauté. Elle était ainsi si l'on peut dire « l'hôtel de ville » d'Avioth affranchie. Vers 1230, peu après l'affranchissement de la ville, le tribunal des échevins tenait ses sessions au cimetière. 

Sur ce dessin de 1830, apparait la « croix de justice », symbole de
l'affranchissement,  privilège qui fut accordé à Avioth en juillet 1223




Eglises et cimetières avaient en effet très tôt été utilisés pour les tribunaux laïcs. Il est possible qu'un peu plus tard, le siège des sessions du tribunal d'Avioth ait été déplacé de l'intérieur du cimetière jusqu'à son portail, c'est-à-dire à l'endroit où fut érigée plus tard la « recevresse », à côté de l'entrée monumentale du cimetière. Il est possible également qu'une construction en bois ait précédé le bâtiment de pierre. De telles constructions étaient chose courante au Moyen Age. Et leur disparition s'explique aisément. Les structures en bois se sont dégradées ou ont été démolies dès qu'on n'en a plus eu l'utilisation. Souvent aussi elles ont été remplacées par des constructions en pierre dans les hôtels de ville ou à proximité immédiate. Les tribunaux siégeaient en plein air. Lorsqu'on se mit à rendre la justice dans des bâtiments clos, la publicité des jugements fut assurée en ouvrant les fenêtres ou en aménageant une ouverture dans le toit.
 

A quelle date la « recevresse » d'Avioth a-t-elle perdu sa fonction ? Les indications données par le curé Delhotel montrent qu'on ne savait plus rien de son ancienne vocation dès le début du XVII° siècle. Faut-il attribuer aux malheurs de la guerre l'oubli dans lequel elle était tombée ? Cependant ce n'est pas à la suite d'un changement dans l'organisation municipale que l'édifice fut abandonné. Le tribunal des échevins a continué à exister même après le transfert de Montmédy à la France (Traité des Pyrénées, 1659) : il est encore cité en 1750. Mais dès le XVI° siècle, les tribunaux se sont déplacés pour siéger dans des lieux clos. A Avioth aussi, le tribunal eut à se chercher une salle fermée. Et la « Recevresse » acquit désormais une nouvelle utilité comme tronc à offrandes monumental, dans le domaine religieux cette fois.

Triskèle - Roses et trilobes

Dressée sur une plate-forme élevée de quelques marches, la « recevresse » se compose d'un petit espace de plan hexagonal délimité par quatre colonnes rondes à base hexagonale et à chapiteaux feuillagés et du côté nord par le soubassement d'une niche en saillie sur le mur du cimetière. Au-dessus des colonnes, une claire-voie ornée de roses délicates et de trilobes, porte des fenêtres à doubles lancettes jadis vitrées et dont l'arc en accolade se prolonge par un pinacle. Les contreforts surmontés aussi de pinacles à crochets et réunis par une haute balustrade sont creusés de niches aujourd'hui vides. L'édicule est couvert d'une voûte d'ogives à six quartiers dont les nervures retombent en pénétration et dont l'extrados porte une gracieuse pyramide hexagonale ajourée. 

Culots et baldaquins témoignent de la présence de statuettes (détruites pendant la Révolution.)

La « Recevresse » était décorée extérieurement et intérieurement par toute une série de statues qui ont été détruites pendant la Révolution. Culots et baldaquins sont toujours en place. Nous pourrions certainement nous faire une meilleure idée de l'édifice si ces personnages étaient encore là. Ils rappelaient vraisemblablement le thème de la justice. On peut aussi imaginer des ducs, des princes-électeurs, des empereurs, souvent représentés dans les lieux où les tribunaux siégeaient. Mais il ne reste rien de l'aménagement intérieur de la « recevresse ». Les bancs et la table étaient peut-être en bois. Le tronc qui apparaît dans les dessins de Viollet-le-Duc et Boswillwald et qui a été enlevé au cours de la restauration, peut-il avoir été l'ancienne table du tribunal ?



La niche, qui ne devait abriter à l'origine qu'une statue de la Vierge, comme le dit le curé Delhotel, a été agrandie vers 1700 pour recevoir un autel creusé d'une cavité carrée et surmontée en 1802 d'une Vierge à l'Enfant en bois destinée à remplacer l'ancienne effigie détruite à la Révolution dont seule, sans doute, la tête subsiste. Au-dessus de la niche pend encore une chaîne, don d'un prisonnier échappé aux Turcs (ces ex-voto étaient nombreux autrefois, mais les Croates pendant la guerre de Trente Ans s'en sont emparés pour en ferrer leurs chevaux).

Cette statue de la Vierge à l'Enfant date de 1802 ; elle remplaça l'originale détruite lors de la Révolution. Vandalisée en 1988, elle a été restaurée par Monsieur Charles Angiolini de Thonne-la-Long.

Contre le mur de la chapelle, à gauche de l'autel, est sculpté en bas-relief un écu fascé sans indication d'émaux (en fait : fascé d'or et d'azur de six pièces), penché, timbré d'un casque à volet ou mantelet et soutenu à dextre par un lion, à senestre par un griffon. Ces armes sont celles des Rodemack. On a d'abord établi une relation avec Rolin de Rodemack qui avait été élu évêque de Verdun en 1380, dont l'élection n'a pas été confirmée, et qui est encore cité en 1408. Mais il est difficile de prouver une relation entre ce Rolin et Avioth, alors qu'elle tombe sous le sens en ce qui concerne son frère Gilles. Il est en effet attesté que Gilles de Rodemack a joué un rôle important comme prévôt luxembourgeois de Montmédy de 1384 à 1427, et comme gouverneur de la partie wallonne du duché, en particulier sous le règne d'Elisabeth de Gorlitz. En tant que prévôt, il était le représentant direct du maître du pays et possédait le droit de haute justice. Comme les autres tribunaux municipaux, le tribunal des échevins d'Avioth n'a jamais exercé que des droits de basse et moyenne justice. 

L'écu de la famille Rodemack

Et si les armes de Gilles de Rodemack se trouvaient dans l'édifice, c'était d'abord pour attester la souveraineté luxembourgeoise. Au Moyen Age, la souveraineté était étroitement liée à la personne, il ne faut donc pas s'étonner de trouver l'écu d'une haute personnalité à cet endroit et dans cette fonction. D'autre part, le droit du prévôt de rendre la justice en dernier ressort était symbolisé par la présence des armoiries et ce prévôt, ainsi qu'il est attesté en d'autres lieux, a vraisemblablement présidé des jugements dans cet édifice. Peut-être aussi la présence de ces armes montre-t-elle qu'une partie des anciennes compétences du tribunal des échevins d'Avioth avait été transférée au tribunal prévôtal.

Fenêtres à doubles lancettes autrefois vitrées ? 

Les quatre colonnes rondes à base hexagonale et à chapiteaux feuillagés,
l’autel enclavé dans la niche


Source : Congrès archéologique de France 1991/ gallica.bnf.fr (rédaction : Simone Collin-Roset)

[Description de la Recevresse par Eugène Viollet-le-Duc dans le dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle (1854-1868)  : Cette chapelle est placée près de la porte d’entrée du cimetière ; elle s’élève sur une plate-forme élevée d’un mètre environ au-dessus du sol ; l’autel est enclavé dans la niche A, fig. 19 et 20 ; à côté est une petite piscine. Au milieu de la chapelle est placé un tronc en pierre B, d’une grande dimension, pour recevoir les dons que les assistants s’empressaient d’apporter pour le repos des âmes du purgatoire. La messe dite, le prêtre sortait de la chapelle, s’avançait sur la plate-forme pour exhorter les fidèles à prier pour les morts, et donnait la bénédiction. On remarquera que cette chapelle est adroitement construite pour laisser voir l’officiant à la foule et pour l’abriter autant que possible du vent et de la pluie. Au-dessus des colonnes courtes, qui, avec leur base et chapiteau n’ont plus de deux mètres de haut, est posée une claire-voie ; sorte de balustrade qui porte des fenêtres vitrées. Il est à croire que du sommet de la voûte pendait un fanal allumé la nuit, suivant l’usage ; la partie supérieure de la chapelle devenait ainsi une grande lanterne.]

Plan de la Recevresse 
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - article : chapelle)
Coupe de la Recevresse 
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - article : chapelle)
Vue perspective de la Recevresse 
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - article : chapelle)
Source : wikisource.org

La restauration de la Recevresse (après 1940)

Les protections mises en place au sein de l'église, sur une partie de la Recevresse, ainsi que le déplacement de certaines œuvres ne purent empêcher la seconde guerre mondiale de faire souffrir l'Eglise Notre-Dame d'Avioth. Les Français ayant observé une présence ennemie dans les combles de l'église, tirèrent sur l'observatoire allemand et commirent des dégâts majeurs sur la Recevresse ; toute sa flèche fut détruite.
Heureusement grâce à un moulage réalisé en 1898 pour l'exposition universelle de Paris de 1900, une copie exacte existait toujours et la pointe put être reconstruite à l'identique !  En plus de la Recevresse, la Chapelle St Jean a beaucoup souffert de ces bombardements, ainsi que deux gargouilles, l'un des médaillons, la balustrade Renaissance, les fenestrages, les murs ainsi que les galbes. Les véritables travaux de reconstruction purent être entrepris seulement à la fin de l'occupation. C'est l'entreprise Bourgogne et Franche-comté qui fut embauchée pour réaliser les travaux. Entre 1945 et 1948, le coût de cette rénovation a atteint environ 3 800 000 francs français, soit environ 579 306 euros.

Source : panneaux d’information à l’intérieur de la basilique


Le sanctuaire à répit 

Un sanctuaire à répit est un type de lieu saint rencontré en pays de tradition catholique. Selon la croyance populaire en certaines provinces, le « répit » est, chez un enfant mort-né, un retour temporaire à la vie le temps de lui conférer le baptême avant la mort définitive. Ayant été baptisé, l’enfant pourra de ce fait entrer en paradis au lieu d’errer éternellement dans les limbes où il serait privé de la vision de Dieu. Le répit n’est possible qu’en certains sanctuaires, le plus souvent consacrés à la Vierge dont l’intercession est nécessaire pour obtenir un miracle. 
La construction de l’église d'Avioth au XIIIe siècle s'explique justement par la découverte, deux siècles plus tôt, d'une statue miraculeuse de la Vierge. Les pèlerins qui venaient implorer cette dernière déposaient leurs offrandes dans la Recevresse. De nombreux parents transportaient le corps de leur enfant mort-né jusqu'à la statue miraculeuse, installée dans l’église Notre-Dame. Ils attendaient le signe de vie (changement de couleur, mouvement du corps saignement, sueur chaude) qui permettrait au prêtre de le baptiser. À Avioth, on estime à 138 le nombre de miracles qui y furent recensés aux XVIe et XVIIe s. Dès 1658, l'évêque de Toul interdit la pratique des répits ; le pape Benoit XIII la condamna en 1729. Dans le petit village du Nord meusien, elle perdurera clandestinement jusqu'au milieu du XIXe siècle.



Photos du moulage de la Recevresse dans les murs de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine (Paris) : https://tinyurl.com/2xccd3cb 

La Recevresse et la publicité (début des années 1970) pour une compagnie aérienne française, aujourd’hui disparue (UTA pour ne pas la nommer), sur le site du Musée des Arts Décoratifs : https://tinyurl.com/2p8bztz3


Conclusion : La Recevresse, malgré les nombreux écrits qu’elle a suscités, reste encore aujourd’hui un monument à la vocation originelle assez floue tant les théories à son sujet sont nombreuses. Aussi nombreuses que les légendes qui planent autour de ce lieu sacré.

Spectacle Avioth, les origines (17 septembre - 17 octobre 2021)