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19/07/2022

La Porte Chaussée (Verdun)

Description de la Porte Chaussée par ERNEST BEAUGUITTE dans son ouvrage « L’ÂME MEUSIENNE » préfacé par André Theuriet (1904). 


Source texte : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k8630152z.texteImage 


« Il n'est plus guère de villes en France pour avoir, autant que Verdun-sur-Meuse, gardé leur originale physionomie d'antan. Cette vieille place forte, célèbre dans l'histoire (le traité de 843 y fut signé dans une maison qui subsiste et l'on connaît les sièges de 1792 et de 1870) n'a pas encore été démantelée et ne le sera pas de sitôt. Elle conserve son corset de murailles trouées par les boulets ; ses glacis plantés d'arbres et semés de gazon; la tour romane dite de Saint-Vannes, vestige d'une abbaye fameuse, et qui dresse sa silhouette dépaysée parmi les bastions de Vauban et les parcs d'artillerie.



Surtout, surtout, des âges révolus où la cité possédait des évêques-comtes, princes du Saint-Empire, et où ses bourgeois luttaient pour le maintien des franchises communales, demeure un imposant témoin de pierre, cette Porte Chaussée dont voici une superbe gravure sur bois (cf image ci-dessous).



Ces deux belles tours jumelles, dont l'architecture rappelle celle de la Bastille, s'ouvraient jadis sur un grand pont franchissant la Meuse et qui donnait accès sur la campagne. Ce pont, appelé d'abord Pont-à-la-Gravière, à cause du terrain de sable et de gravière où reposaient ses assises, puis de Dame-Deie (Domus Dei) en raison de la proximité d'un hôpital, prit le nom qu'il a gardé de Pont de la Chaulcie ou de la Chaussée, quand le riche bourgeois Constantius et sa femme Efficia firent établir au bout du pont une large chaussée pour servir de chemin aux voyageurs en même temps que de digue contre les eaux du fleuve, qui souvent inondaient le terrain avoisinant. La tour s'appela comme le pont. Elle fut édifiée en 1380, grâce à la libéralité de Jehan Wautrec, « doyen de la séculière justice de Verdun », c'est-à-dire le premier magistrat de la Ville.



Sous la longue et habile administration de Jehan Wautrec, la Commune obtint la plénitude de sa liberté : elle en usa pour faire construire la première grande enceinte de Verdun, nommée le Grand Rempart. Au point où se terminait le nouveau Grand Rempart, Wautrec donna l'ordre de bâtir à ses frais une belle et haute tour géminée, plus belle et plus haute que les vingt-cinq ou trente autres qui, s'élevant au-dessus des remparts ou dans l'intérieur de la Cité, rendaient alors, avec ses nombreux clochers (suivant une antique chronique, il y avait à cette époque à Verdun plus de trente clochers), la vue de Verdun si pittoresque.



Elle devait servir à la défense et faire à la ville guerrière une entrée de soixante pieds (environ 20 m) de hauteur, imposante, majestueuse, grâce à sa couronne de créneaux, sa bordure de mâchicoulis en saillie et ses deux grands bras où, naguère encore, pendaient les chaînes d'un pont-levisLe savant abbé Clouet et l'abbé Gabriel, qui ont écrit l'histoire de Verdun celui-là autrement original que celui-ci nous ont narré les destins divers de la Tour Chaussée.



Enfin, un poète verdunois, A. Bouilly, l'a chantée en ces beaux vers : 


La vieille tour, un soir, au bord des lentes eaux,

Dressant son front sévère et casqué de créneaux,

Ouvrant sa bouche d'ombre noire

Où pend encor la herse, à monstrueuses dents,

Et fixant sur moi ses deux yeux, deux trous ardents,

M'a dit du fond de son histoire :

Avec ma force abrupte, avec mes murs altiers,

OEuvre de Jean Wautrec, Maistre-Roy des Mestiers,

Par le cœur et par la fortune,

Je demeure l'emblème exact de la cité

Qui conquit et garda la pleine liberté

D'une rude et forte commune.

Combien de fois j'ai vu les Arbalétriers,

Les gens de la Milice et les Arquebusiers,

« Ameutés au son de la Mute »,

Planter là leurs métiers, et d'un pied ferme et prompt

Accourir vers mes murs, monter jusqu'à mon front,

Pour soutenir quelque âpre lutte !

Robustes cours de fer sous leurs habits de fer,

Ces Communaux, d'esprit aussi subtil que fier,

Déjouaient toutes les surprises,

Et contre leur Evèque ou contre l'Empereur

S'insurgeaient, toujours prèts à défendre sans peur

Leurs irréductibles franchises.

Ah! ce sont leurs vrais fils, leurs descendants virils,

Qui naguère, en l'année aux tragiques périls,

Braves que rien ne désespère,

En rendant coup pour coup au Teuton rançonneur,

Ont effacé la honte entachant leur honneur

Depuis la mort de Beaurepaire.

Et vous, les héritiers de ces vaillants aïeux,

Puissiez-vous en rester dignes! De votre mieux

Conservez leurs mâles audaces!

S'il faut défendre encor le droit, la liberté,

Montrez que vit toujours dans la vieille cité

L'âme des Communaux tenaces!



Aux documents connus de tous les Meusiens fournis par les abbés Clouët et Gabriel, ajoutons quelques renseignements, dont certains de date récente et que la mort les a, l'un et l'autre, empêchés de donner. En 1690, la Tour Chaussée comptait déjà plus de trois cents ans d'existence on s ‘aperçut que la gémelle de gauche prenait charge et fléchissait considérablement. La Ville, quoique les fortifications ne lui appartinssent plus à cette époque, restait propriétaire de la porte de Jehan Wautrec. Elle fit alors démolir la partie qui menaçait ; on en numérota les pierres et on rebâtit la Tour avec les mêmes matériaux qui avaient servi à sa construction. Rien ne fut changé à la disposition générale. L'entrée, seule, fut modifiée : au lieu de l'arcade ogivale qui existait, on dessina, suivant le goût du temps, l'arcade à plein cintre et le fronton d'ordre toscan actuels.



La ville, en 1755, probablement pour être déchargée d'un entretien constant et dispendieux, abandonna la Tour de la Chaussée au gouvernement, qui avait besoin d'une prison militaire à Verdun. Et pendant plus d'un siècle, jusqu'en 1860 exactement, l'œuvre de Jehan Wautrec resta prison pour la troupe. Vers 1880, l'autorité militaire, toute puissante dans une ville qui compte actuellement, avec les forts, près de quinze mille hommes de garnison (la population civile ne dépasse guère treize mille âmes) estima que le passage constitué par la voûte de la Tour n'était pas assez large pour donner facilement issue aux troupes encas de presse ou de guerre. Le génie eut alors la pensée d'ouvrir une seconde porte dans la gémelle de gauche, celle qui avait été reconstruite. On songea même, dit-on, à jeter bas la vieille Tour.


Les Verdunois s'émurent fort d'un tel projet ; les journaux locaux protestèrent énergiquement, des réclamations furent adressées en haut lieu... et la Porte Chaussée fut conservée. Toutefois on supprima le pont-levis, inutile avec le système de défense moderne; on remblaya le pied de la Tour jusqu'au niveau du tablier du pont ; on élargit, des deux  côtés, l'extrémité du pont désormais immobile: enfin, on ouvrit aux troupes, dans le rempart voisin, un large passage donnant sur le pont élargi.



Ce fut alors, et pour éviter à l'avenir d'autres dégradations, que d'heureuses influences obtinrent le classement de la Tour Chaussée au nombre de nos monuments historiques.    Le ministre des Beaux-Arts était M. Jules Ferry. L'arrêté est du 21 mars 1881. L'administration militaire, qui aurait dû rendre la Tour Chaussée à la ville, puisque la ville lui en avait fait abandon en 1755, a jugé plus utile de la mettre en adjudication. Verdun l'a rachetée, assez récemment, pour la somme de 5025 francs. Depuis un certain nombre d'années, la Tour Chaussée est affectée aux réunions des différentes sociétés musicales de la Ville pour leurs répétitions. Maintenant, au murmure des eaux lentes, se mêlent, non plus le cliquetis des armes, mais les sons de quelque valse d'Olivier Métra ou de quelque morceau d'opérette en vogue.


Outre les trois pièces occupées par les sociétés, il existe, au rez-de-chaussée de la Tour, un magasin pour les outils des cantonniers de la Ville et, reste de l'ancienne affectation, un cachot fermé d'une porte massive, assujettie par d'énormes gonds, une serrure et un verrou à l'avenant, etc. Dans le sous-sol, de petites caves ou cellules, de trois à quatre mètres de longueur sur deux de largeur, fermées comme le cachot . Au mur de chaque cellule est fixé un gros anneau auquel on attachait le prisonnier, récalcitrant ou non. Du haut du parapet, on jouit d' une vue splendide sur les quartiers de la ville basse et la campagne voisine, les coteaux plantés de vignes, les forêts toutes proches ... et les ouvrages fortifiés qui font de Verdun la plus redoutable des forteresses. »


La dernière visite guidée du monument historique phare de la Ville (maintenant totalement interdit au public pour des raisons de sécurité) date de 2012. Le premier étage était, de 1980 à 2014, occupé par l’association Verdun Bienvenue, qui y tenait une permanence. Celle-ci a dû être transférée, encore une fois, pour raison de sécurité non conforme.

Le timbre-poste
Source image : https://www.wikitimbres.fr/timbres/4039/1916-1939-verdun-porte-chaussee

Timbre-poste (création d'Achille Ouvré) émis en 1939 à l'occasion du 23e anniversaire de la Bataille de Verdun représentant au premier plan la Porte Chaussée et le Pont Chaussée et à l'arrière-plan, la cathédrale Notre-Dame.

Le fronton d’ordre toscan


Les gargouilles







La Porte Chaussée de nuit


26/05/2022

Les dragées Braquier (Verdun)

La dragée est considérée comme la confiserie la plus ancienne de France. Elle aurait été créée au début du XIIIe siècle par un apothicaire de Verdun qui cherchait un moyen de faciliter la conservation et le transport des amandes qu’il utilisait.


La Maison Braquier créée en 1783, située à Verdun rue du Fort de Vaux, est la seule usine lorraine à fabriquer la dragée de façon artisanale et traditionnelle. Ci-dessous, un large extrait d’un article de la revue hebdomadaire Le Panthéon de l’Industrie (1891) [Gallica.bnf.fr] présentant l’historique de la maison Braquier.



Dragées de Verdun et autres produits de la Grande Usine du Château de Coulmier 


L’on n’ignore pas le lien et la date de l’invention française de la dragée [1783], ce bonbon exquis dont les innombrables créations ultérieures de la confiserie n’ont nullement réussi à faire dédaigner ni à diminuer la consommation ; si l’on ne savait pas l’époque de notre histoire à qui revient l’honneur d’avoir doté Verdun de cette fabrication originale qui lui a valu de si beaux bénéfices et une si grande réputation, cette lacune serait très certainement regrettée par les historiens de l’industrie. Mais cette lacune n’existe pas heureusement. Les livres nous apprennent que c’est au XIIIe siècle qu’un droguiste de Verdun (innommé malheureusement) eut l’heureuse idée de revêtir d’une couche de sucre les amandes qu’il s’était borné jusque-là à broyer pour les convertir en pâte, et que ces épices (c’est le nom que l’on donna d’abord à ces produits), profitant de leurs facilités de transport et de conservation, obtinrent un succès qui se développa de plus en plus et qui devint, pour le lieu de leur invention, une précieuse source de richesse.


 
Source : gallica.bnf.fr 

Voilà l’histoire du passé. Nous espérons que celle de l’avenir sera plus précise encore, et qu’en rappelant qu’une maison de confiserie du château du Coulmier, près de Verdun, a réussi à donner à cette spécialité du pays ainsi magnifique développement que sa production, triplée dans l’espace de trois ans, s’élève maintenant à 1,5 millions de kilogrammes par an, nous aurons donné un détail qui sera recueilli par les futurs historiens de cette industrie. Si nous pouvions faire connaître ce fait économique à nos descendants, nous en serions réellement fiers ; mais nous tiendrions en même temps à ce qu’ils sussent par nous que la maison Léon Braquier et Boivin, dont nous allons rappeler rapidement l’histoire, est très loin de s’être enfermée d’une façon exclusive dans cette intéressante spécialité de la dragée, et qu’on lui doit, entre autres curieuses inventions, une série d’articles explosibles dont nous signalerons plus loin quelques types des plus intéressants.

Les turbines à dragées sont inventées à la fin du XIXe siècle par les confiseurs Peysson,
 Jacquin et Delaborde. Elles remplaceront les bassines appelées "branlantes".
Source image : Wikimedia commons

Mais avant d’en venir là, rappelons brièvement que la dragée de Verdun obtint, à ses débuts, un si magnifique succès dans le monde de la noblesse qu’aucune dame, aucun jeune homme de ce monde, ne se croyait autorisé à se passer de porter sur eux un drageoir élégant.
La dragée, toutefois, ne fut très longtemps qu’un produit rugueux du genre de la praline, et ce ne fut qu’au commencement du XVIe siècle que l’on réussit à donner à ces amandes enveloppées de sucre ce magnifique poli qui les rendit dignes d’être offertes aux rois, aux reines, aux princes, aux princesses, aux évêques eux-mêmes, à l’occasion de leur entrée solennelle dans la localité où ils devaient exercer leur autorité.
Avec ce côté brillamment aristocratique de l’histoire de la dragée, nous sommes contraints de signaler un terrible revers de médaille : celui des dangers de sa fabrication qui, comprenant l’emploi de bassines agitées à la main, pendant des journées entières, sur des fourneaux ou brûlait du charbon de bois, provoquait un dégagement d’acide carbonique assurant aux malheureux ouvriers une santé déplorable, quand il n’amenait pas leur complète asphyxie.
Ce n’est certes pas aujourd’hui qu’il faudrait s’attendre à de pareils accidents, dans cette vaste usine du château du Coulmier, construit dans de magnifiques proportions par M. Léon Braquier, et où l’on ne s’est pas borné, dans l’intérêt du personnel, à adopter l’usage des vastes bassines plates créées à Verdun en 1852, et celui des bassines Peysson. On y a combiné, par tous les moyens possibles, des procédés de chauffage et des moyens de ventilation assurant une pureté d’air vraiment absolue. Il est bien entendu que cette maison, qui compte 108 ans d’existence, n’a pu réaliser dès ses débuts une pareille perfection. […]


Détruite durant la Guerre 1914-1918, l'usine du Coulmier sera reconstruite et modernisée.




Le petit-fils du fondateur, M. Édouard Boivin, eut, en 1878, une idée tout à fait décisive : celle de s’associer avec M. Léon Braquier, dont les capacités et les connaissances spéciales ne peuvent faire aucun doute pour les hommes compétents. L’association de ces deux hommes (rompue seulement au mois d’avril par la mort de M. Boivin, qui a laissé M. Léon Braquier seul chef de l’établissement) devait être puissamment féconde. Le père de M. Braquier avait fondé, à Verdun, en 1852, une fabrique de dragées à laquelle ils avaient aussi donné de grands développements. M. Braquier père, en effet, avait doublé, en quelques années, le chiffre de ses affaires, et avait dû, en 1858, pour suffire au développement incessant des commandes, transférer son usine au numéro 10 de la rue Mazel, s’y établir très largement, mais d’une manière cependant qu’il ne devait pas être longtemps suffisante.

En 1864, date à laquelle le chiffre de ses affaires se trouve apporté à 150 000 F et il dut s’annexer le numéro 12 de la même rue, et en 1871, la maison Braquier fait un chiffre d’affaires de 250 000 F.

C’est en 1878 que fut réalisée la féconde association des maisons Léon Braquier et Boivin, et que fut créée l’immense usine que nous venons de visiter sur l’emplacement du château du Coulmier.
[…]
Nous citerons un système d’obus que l’on peut allumer sans danger toujours pour le faire éclater et lui faire lancer sur la table non pas seulement d’excellentes dragées Verdun mais des devises, des charades, de la musique, des photographies… Et bien d’autres objets que nous ne citerons pas, pour en laisser la surprise aux amateurs. […] 

 





Fabrication 

Les ingrédients principaux sont des amandes (ou des noisettes, des pistaches, des pâtes de fruits, de la nougatine, du chocolat) du sucre et de l'eau.
  • L'étuvage des amandes triées se fait dans un local ventilé à 70 °C avec une hygrométrie de'± 30 %.
  • Le gommage des amandes a pour but de recouvrir les amandes d'un film et d'empêcher l'huile de migrer vers l'extérieur. Les amandes sont placées dans des turbines inclinées en rotation, et sont enveloppées à chaud de gomme arabique (acacia), de gomme-laque de blé ou des deux. Un repos de 24 heures est ensuite nécessaire pour que le gommage sèche.
  • Le grossissage consiste à recouvrir ces amandes gommées d'une fine couche de sucre vanillé. On utilise un sirop de sucre de concentration relativement élevée. Ce sirop est versé manuellement (à la louche) sur les amandes dans la turbine en mouvement. L'évaporation de l'eau est facilitée par une ventilation air chaud / air froid, pendant qu'un serpentin alimenté de vapeur complète le séchage. Le grossissage nécessite de 30 à 60 charges, suivant l'épaisseur recherchée.
  • La mise en couleur se fait à l'aide d'un sirop de sucre moins concentré et des colorants alimentaires autorisés.
  • Le lissage est l'étape finale destinée à donner aux dragées leur aspect de porcelaine et une surface parfaitement lisse avec des sirops de sucre aux concentrations décroissante.

Tradition 

La dragée a successivement été employée comme un médicament, comme un dessert précieux et comme un présent à offrir à l’occasion des grands événements. Aujourd’hui, on lance encore des dragées au-dessus des mariés à leur sortie de l'église afin de leur porter chance. L'amertume de l'amande alliée à la douceur du sucre symbolise les joies et les peines de la vie. On en offre également aux invités d'un mariage ou d'un baptême. La tradition veut que pour un mariage, 5 dragées soient offertes pour 5 vœux : fécondité, félicité, prospérité, santé et longévité. Le nombre impair symbolise également l’indivisibilité de l’union des mariés. 


Le musée



 


 


Le magasin d'usine