10/12/2022

Jules Bastien-Lepage, peintre damvillois


« Je veux faire de la réalité et, si je peux, la rendre poétique. »

 Jules Bastien-Lepage, 1874.

Jules Bastien-Lepage - Léopold Flameng (1879)

Bastien-Lepage portrait au crayon - Eduard von Liphart (1880) - British Museum

Photographie de Bastien-Lepage - Hermet - Paris, Musée Carnavalet

Portrait de l’artiste - Jules Bastien-Lepage (1882) - Pyms Gallery, Londres


Biographie sommaire de Jules Bastien-Lepage


Portrait de M. André Theuriet -
Jules Bastien-Lepage
Musée des Beaux-Arts, Tours
L’écrivain et poète André Theuriet a écrit une biographie de son ami dans un ouvrage intitulé « Jules Bastien-Lepage, l’homme et l’artiste » publié en mars 1885 aux éditions G. Charpentier et Cie. En voici quelques extraits entrecoupés, en italique, de quelques extraits du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. 

« Jules Bastien-Lepage est né à Damvillers, le 1er novembre 1848, dans une simple maison de cultivateurs aisés, à la façade jaunâtre et aux volets gris. On pousse la porte d'entrée et on se trouve de plain-pied dans une cuisine, la vraie cuisine des villages de la Meuse, avec sa haute cheminée surmontée d'ustensiles de ménage, ses rangées de chaudrons de cuivre, sa maie pour le pain et son vaisselier garni de faïences coloriées. La chambre contiguë sert à la fois de salon, de salle à manger et même au besoin de chambre à coucher ; au-dessus sont les chambres de réserve, puis de vastes greniers aux charpentes touffues. C'est dans la salle du rez-de-chaussée, égaiement exposée au midi, que le peintre des Foins et de Jeanne d'Arc a ouvert les yeux.


La famille était composée du père, esprit industrieux, sensé et méthodique ; de la mère, une femme au cœur d'or et au dévouement infatigable, et du grand-père Lepage, ancien employé des contributions indirectes, qui s'était retiré près de ses enfants. On vivait en commun du modeste produit des champs que les Bastien faisaient valoir eux-mêmes, et de la petite pension de l'aïeul.

Jules Bastien-Lepage et sa mère - Visuel Musée JBL Montmédy 
Portrait du père de l’artiste - Jules Bastien-Lepage (1877)
Portrait de la mère de l’artiste - Jules Bastien-Lepage (1877)
Émile Bastien-Lepage - Jules Bastien-Lepage (1879)

A cinq ans, Jules commença à manifester son aptitude pour le dessin, et son père s'empressa de cultiver celle disposition naissante. […] Dès cette époque, pendant les soirées d'hiver, il exigeait que le marmot, avant de se coucher, copiât au crayon sur le papier un des ustensiles de ménage placés sur la table : la lampe, le broc, l'encrier, etc.

Ce fut certainement à cette première éducation de l'œil et de la main que Bastien-Lepage dut cet amour de la sincérité, celte recherche patiente du détail exact qui furent la grande préoccupation de sa vie d'artiste. En poussant son fils à dessiner ainsi chaque jour, le père n'avait pas la moindre idée de faire de lui un peintre. En ce temps-là, et à Damvillers surtout, la peinture n'était pas regardée comme une profession sérieuse. 

Pendant ses courses à travers champs, Bastien-Lepage recevait les impressions de la vie campagnarde et se les assimilait inconsciemment, comme une nourriture quotidienne. Les ramasseurs de fagots, les faneuses assoupies, les jardins d’eau village en avril, les champs de pomme de terre, […] tous ces menus détails de l’existence villageoise entraient dans les yeux de l'enfant, qui les emmagasinait instinctivement dans sa mémoire. »


Paysages damvillois 

À onze ans, Jules Bastien-Lepage quitta l'école communale pour entrer au collège de Verdun, où il reçut les leçons du maître à dessiner Fouquet. Il n'eut pas plutôt obtenu le grade de bachelier qu'il manifesta l'intention bien arrêtée d'être peintre. Mais devant les hésitations de sa famille, il consentit à entrer, en 1867, dans l'administration des Postes [à Paris], où on l'autorisait à suivre les cours de l'Ecole des Beaux-Arts en dehors des heures de service. Après six mois, Bastien-Lepage reconnut l'impossibilité de ce travail en partie double et se fit mettre en disponibilité : reçu à l'Ecole avec le numéro 1, il entra à l'atelier Cabanel, n'ayant pour ressources que la pension de 600 francs qui lui avait été votée par le conseil général de la Meuse et les modestes allocations de sa famille. Si l'on peut assigner une date, c'est vers cette année 1874 que la vocation de Bastien-Lepage se précisa et qu'il appliqua à la peinture rustique les dons précieux que ses portraits avaient révélés. Tout en flânant à travers les bergeries de Damvillers et les bois de Réville, il se jura qu'il serait le peintre des paysans de la Meuse.

« Pendant ses dernières vacances à Damvillers, Bastien-Lepage avait eu l'idée d'exécuter le portrait de son aïeul, en plein air, au milieu du jardinet que le vieillard cultivait avec amour. Devant cette peinture sincère, d'une facture si franche, d'une intensité de vie familière si saisissante, le public s'arrêtait charmé, et le nom de Bastien-Lepage, ignoré encore la veille, figurait le lendemain en belle place dans les articles écrits sur le Salon. Ce fut devant ce tableau que je me rencontrai pour la première fois avec Jules. Ayant cherché le nom du peintre sur le livret, j'avais été joyeusement surpris de voir qu'il était Meusien et né dans ce Damvillers où j'avais vécu moi-même (en 1856). Les terres fortes de notre département ne sont guère fécondes en artistes ; quand elles en ont produit un, elles se reposent pendant des siècles. Depuis Ligier Richier, l'illustre sculpteur né à la fin du quinzième siècle, la Meuse ne peut guère porter à son actif que le peintre Yard, un habile décorateur d'églises et de châteaux au temps du duc Stanislas. 

Portrait de mon grand-père - Gravure de Charles Baude d'après JBL 
Portrait de mon grand-père - Jules Bastien-Lepage (1874)

Aussi étais-je tout fier de trouver dans Bastien-Lepage un compatriote. Quelques instants après un ami commun nous présenta l'un à l'autre. Je vis un garçon très jeune, très blond, modestement vêtu, petit, leste et bien musclé ; sa figure un peu blafarde au front carré et volontaire, au nez court écrasé du bout, aux lèvres spirituelles à peine estompées d'une pâle moustache blonde, était éclairée par deux yeux bleus dont le regard clair, droit et perçant disait la loyauté et l'indomptable énergie. Il y avait à la fois du gamin et de l'homme dans celte physionomie mobile, aux traits heurtés, où une certaine crânerie audacieuse alternait avec des lueurs de sensibilité et des éclairs de gaieté espiègle. Les souvenirs du pays natal, notre commun amour de la campagne et de la vie en plein air eurent vite établi entre nous des rapports affectueux, et, après deux ou trois rencontres, nous nous liâmes intimement. Le Portrait du grand-père lui avait valu une troisième médaille et lui avait assuré sa place au soleil. Ce n'était pas encore le succès d'argent, mais c'était une notoriété sérieuse, et il pouvait rentrer dans son village le cœur tranquille et le front haut. L'Etat venait d'acheter le tableau de la Chanson du printemps, et les commandes commençaient à arriver.


La Chanson du printemps - Jules Bastien-Lepage (1874)
Musée de la Princerie, Verdun


Bastien-Lepage reparut au Salon de 1875 avec la Communiante et le Portrait de M. Simon Hayem, deux œuvres de valeur qui donnèrent, chacune à sa façon, une nouvelle marque de son originalité. Le portrait de M. Hayem réussit mieux près des gens du monde ; la Communiante frappa davantage les artistes. 


Portrait de M. H. (Simon Ayem) - JBL (1875)
Musée des Augustins, Hazebrouck 

Cette candide et gauche figure de fillette se détachant d'un fond laiteux dans la raideur légère de son voile blanc empesé, ouvrant naïvement ses yeux purs couleur de noisette et croisant ses doigts mal à l'aise dans les gants blancs, est merveilleuse de science et de sincérité. Elle rappelle la manière de Memling et de Clouet. avec un senliment tout moderne. Elle offre d'autant plus d'intérêt qu'elle a été, pour le peintre, le point de départ de ces petits portraits si vivants, si intimes, d'une facture à la fois si large et si consciencieuse, qui comptent parmi ses chefs-d'œuvre les plus parfaits. En même temps qu'il triomphait au Salon, Bastien entrait en loge et concourait pour le prix de Rome. Le sujet du concours de 1875 avait été pris dans le Nouveau-Testament : l'Annonciation aux bergers. […]

 
La Communiante - Jules Bastien-Lepage (1875)
Musée des Beaux-Arts, Tournai

La plupart de ceux qui avaient vu l'œuvre de Bastien répétaient qu'il emporterait le prix de Rome haut la main ; et cependant le jury en décida autrement : ce fut un concurrent plus âgé et plus correct qui fut envoyé à la villa Médicis aux frais de l'Etat. Cette décision étrange troubla Bastien-Lesage et le découragea un moment.

L’Annonciation aux bergers - Jules Bastien-Lepage (1875)
National Gallery of Victoria, Melbourne



Atelier de Bastien-Lepage à Paris
Pour les bourgeois de sa province, pour sa famille même, le prix de Rome eut été considéré comme une affirmation officielle de son talent, et il regrettait surtout de ne pouvoir donner cette satisfaction d'amour-propre à ses parents, qui s'étaient imposé tant de privations pour le maintenir à Paris.  Quoi qu'il en dît, ses études à l'École ne lui avaient pas été inutiles. Elles avaient développé en lui le sens critique. Ses répugnances pour l'art faclice et conventionnel l'avaient ramené avec plus de force vers l'observation exacte et attentive de la nature. A Paris, il avait appris à comparer et à mieux voir. Les campagnes de la Meuse, si peu épiques, avec leurs collines basses, leurs horizons bornés, leurs plaines sans relief, lui avaient paru tout à coup plus séduisantes et plus dignes d'intérêt que les héros de la Grèce et de Rome. Nos laboureurs poussant la charrue au revers d'un champ; nos paysannes à la taille robuste, aux grands yeux limpides, aux maxillaires saillants et à la bouche largement fendue; nos vignerons, au dos courbé par le travail de la houe et du chaverot, s'étaient révélés à lui comme des modèles autrement attachants que ceux de l'atelier. On pouvait faire œuvre de grand artiste en dégageant la poésie infuse dans les gens et les choses du village, et en la rendant pour ainsi dire palpable au moyen de la ligne et de la couleur. Donner la sensation de la grisante odeur des herbes fauchées, de la chaleur du soleil d'août sur les blés mûrs, de l'intimité d'une rue de village ; faire songer aux gens qui y vivent et y besognent ; montrer le lent remue-ménage de la pensée, les soucis du pain gagné au jour le jour, sur des physionomies aux traits irréguliers ou même vulgaires ; c'est de l'art humain, et, par conséquent, du grand art. Les peintres hollandais n'avaient pas procédé autrement et ils avaient créé des chefs-d'œuvre. Bastien, tout en flanant à travers les vergers de Damvillers et les bois de Réville, se jura qu'il ferait comme eux et qu'il serait le peintre des paysans de la Meuse. Il voulait, dans une série de grands tableaux, retracer toute la vie campagnarde : la fenaison, la moisson, les semailles, les amoureux, un enterrement de jeune fille.... 


Le semeur - Jules Bastien-Lepage (1879)
Musée Bastien-Lepage, Montmédy
Les Blés mûrs - Jules Bastien-Lepage (1880)


Soir à Damvillers - JBL (1882) - Philadelphia Museum of Art
Une rue de Damvillers - JBL (1882) - Galerie nationale, Oslo

Effet de neige - Jules Bastien-Lepage (1882)
San Francisco De Young Museum

Le cuveau à lessive
La mare de Damvillers 
Intérieur à Damvillers

Faucheur aiguisant sa faux - Jules Bastien-Lepage (1878)
Musée des Beaux-Arts, Nancy

La Faneuse au repos  - Jules Bastien-Lepage (1881)
Galerie nationale, Oslo

Aussitôt après l'ouverture du Salon, Bastien plia bagage et s'enfuit à Damvillers pour préparer son grand tableau des Foins, qui l'occupa pendant tout l'été de 1877. Les Foins furent envoyés au Salon en 1878. Le succès fut très grand, quoique violemment discuté. Dans la salle où il était placé, au milieu des toiles qui l'entouraient, ce tableau donnait une extraordinaire sensation de plein air et de clarté. On eût dit une large fenêtre ouverte sur la nature. La prairie, déjà à moitié fauchée, fuyait, baignée de soleil, sous un ciel d'été semé de légers flocons de nuages. La jeune faneuse assise, alanguie par le temps chaud et grisée par l'odeur des foins, les yeux fixes, les membres las, la bouche entrouverte, était merveilleusement vivante. Rien de ces paysannes de convention dont les mains semblent n'avoir jamais touché un outil, mais une vraie campagnarde habituée dès l'enfance aux labeurs de la terre. On la sentait harassée de fatigue, heureuse de souffler un moment à l'aise après une matinée de travail en plein soleil. Cette toile où la vie des champs était étudiée avec tant de sincérité et rendue d'une façon si puissante, exerça une influence considérable sur la peinture contemporaine. 

Femme assise dans l’herbe près d’un homme endormi - Jules Bastien-Lepage 
Kunsthalle, Hambourg


Études pour Les Foins

Les Foins - Jules Bastien-Lepage (1877) - Musée d’Orsay, Paris
Ce tableau est inspiré d’un poème de son ami André Theuriet 
« Midi!…les prés fauchés sont baignés de lumière 
Sur un tas d’herbe fraîche ayant fait sa litière 
Le faucheur étendu dort en serrant les poings.
Assise auprès de lui, la faneuse hâlée 
Rêve, les yeux ouverts, alanguie et grisée
Par l’amoureuse odeur qui s’exhale des foins.
»

À partir de cette exposition, beaucoup de jeunes peintres, beaucoup d'artistes étrangers surtout, se jetèrent avec enthousiasme dans la voie nouvelle frayée par Bastien-Lepage, et, sans le vouloir, le peintre des paysans de la Meuse fut sacré chef d'école. Sans se laisser griser par le succès, Bastien continua sa vie de travail assidu et de recherches consciencieuses. Il partageait son temps entre Paris et Damvillers, donnant la plus large part à son village. »

Avec la Saison d'octobre qui continuait, au Salon de 1879, la réputation de Bastien-Lepage comme peintre rustique, se voyait le portrait de Mme Sarah Bernhardt, figurée de profil, à mi-corps, assise sur une fourrure blanche et vêtue d'une robe de soie qu'elle tient à la main. Un cadre en fer forgé entourait cette peinture et semblait avoir été choisi à dessein pour faire valoir le jeu des blancs et des tonalités claires

Saison d’octobre ou La Récolte des pommes de terre - JBL (1878)
National Gallery of Victoria, Melbourne

Sarah Bernhardt - JBL (1879)
Collection particulière 

Jeanne d’Arc - Jules Bastien-Lepage (1879)
Metropolitan Museum of Art, New-York
« Jeanne d'Arc parut au Salon de 1880, avec le portrait de M. Andrieux. Elle n'y produisit pas tout l'effet sur lequel Jules comptait. Le tableau eut des admirateurs enthousiastes, mais aussi des détracteurs passionnés. Les critiques portaient d'abord sur le défaut d'air et de perspective, puis - comme je l'avais prévu - sur les voix, représentées par trois personnages symboliques, trop sommairement indiqués pour être compris, et cependant trop précis encore pour des apparitions.

Seulement, le public ne rendait pas suffisamment justice à l'admirable figure de Jeanne, debout, immobile, frémissante, les prunelles dilatées par le rêve, le bras gauche étendu el maniant machinalement les feuilles d'un arbuste voisin. Jamais Bastien-Lepage n'avait encore créé de figure si poétiquement vraie que cette pastoure lorraine, portant la casaque grise lacée et la jupe marron des paysannes, si virginale, si humaine, si profondément abimée dans son extase héroïque. Le succès rapide et éclatant du jeune maître avait froissé bien des amours-propres; on lui faisait payer ces précoces sourires de la gloire en rabaissant le mérite de sa nouvelle œuvre. Il avait espéré qu'on décernerait la médaille d'honneur à sa Jeanne d'Arc ; on donna celle récompense à un artiste de talent, mais dont l'œuvre n'avait ni l'originalité, ni les qualités d'exécution, ni l'importance de celle de Bastien. Il ressentit vivement cetle injustice et se rendit à Londres, où l'accueil et les appréciations des artistes et des amateurs anglais le consolèrent un peu de ce nouveau déboire. »


Fait chevalier de la Légion d'honneur au mois de juillet 1879, Bastien-Lepage fut mandé en Angleterre pour peindre le portrait du prince de Galles en tenue de cour, portrait exposé plus tard (en 1881) au Cercle de l’Union artistique (place Vendôme) et qui ne fut jamais payé à l’artiste, à ce qu’on assure. En dehors d'une excursion de six semaines à Venise et en Suisse, dont quelques paysages ont conservé le souvenir, et sauf de courts séjours à Paris durant l'hiver, utilisés à continuer la série de ses merveilleux petits portraits, la vie de Bastien-Lepage, depuis son retour d'Angleterre jusqu'en 1883, se passa à Damvillers où il travaillait pour ainsi dire sans relâche. 

Portrait du Prince de Galles - JBL (1879)
Musée d’Orsay, Paris

« De cette période date toute une série de paysages avec figures, tels que les Vendanges; d'impressions pénétrantes : le Soir, l’Incendie au village, le Paysan allant voir son champ, la Vieille femme examinant un pommier en fleur, la Fin de la journée, et aussi des tableaux comprenant un personnage traité en grandeur naturelle avec la sincérité et la profondeur particulières à l'artiste: Pas mèche, la Petite Fille allant à l’école, le Colporteur endormi, Fleur du chemin, la Petite Bergère gardant une vache. En dehors d'un Diogène et d'une Ophélie ébauchés vers ce temps, le peintre avait pris au village même les sujets de tous ses tableaux. »

Autoportrait (1880) et palette ornée des initiales de l’artiste 
Musée Jules Bastien-Lepage - Montmédy
La jeune femme endormie - Jules Bastien-Lepage (1880)
Musée Bastien-Lepage, Montmédy
Pauvre Fauvette - Jules Bastien-Lepage (1881) - Kelvingrove Art Gallery ans Museum, Glasgow
Petite fille allant à l’école - Jules Bastien-Lepage (1882) - Aberdeen Art Gallery


La chaîne - Jules Bastien-Lepage (1882) Musée des Beaux-Arts, Tournai
Au temps des vendanges - JBL (1880) Van Gogh Museum, Amsterdam

Le Père Jacques - Jules Bastien-Lepage (1882)
Milwaukee Art Center

Circuit « Sur les pas de Jules Bastien-Lepage »


Esquisse pour Le Mendiant - Jules Bastien-Lepage (1880)
Musée Bastien-Lepage, Montmédy
Le Mendiant - Jules Bastien-Lepage (1880)
Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague
Pas-Mèche (1882) - National Gallery of Scotland, Édimbourg 

Fleur du chemin - Jules Bastien-Lepage 
Le Petit Colporteur endormi - Jules Bastien-Lepage (1882) Musée des Beaux-Arts, Tournai

Le Petit Ramoneur - Jules Bastien-Lepage (1883) 
Collection particulière 

La mort d’Ophelie - Jules Bastien-Lepage (1881) Musée des Beaux-Arts, Nancy
Diogène - Jules Bastien-Lepage (1877) Musée Marmottant Monet, Paris

Vers 1880 - Musée des Beaux-Arts, Nancy

Mais on ne travaille pas impunément, avec une pareille ardeur, par tous les temps et en tous lieux. Lorsque, pendant l'hiver de 1883, Bastien-Lepage, de passage à Paris, [son frère Emile] dessina le Char funèbre de Gambetta et [Jules] peignit le tableau représentant l'homme d'Etat sur son lit de mort, il ressentait déjà les premières atteintes du mal qui lentement le minait. Il revint à Damvillers, termina l'Amour au village qui parut seul au Salon de 1883 et y obtint un succès retentissant, acheva presque le Déjeuner du ramoneur, esquissa l'Enterrement d'une jeune fille, et signa coup sur coup la Forge, dernier envoi de l'artiste au Salon de 1884, la Lessiveuse, deux petits portraits de femmes âgées, dont l'un, celui de Mme Drouet, est considéré à bon droit comme un pur chef-d'œuvre.

Étude pour le char funèbre de Gambetta - Emile Bastien-Lepage (1883) 

Gambetta sur son lit de mort - Jules Bastien-Lepage (1882)

Portrait de Juliette Drouet - Jules Bastien-Lepage (1883)
Maison de Victor Hugo, Paris
Etude pour l’Amour au village - Jules Bastien-Lepage (1882)
L’Amour au village - Jules Bastien-Lepage (1882) Musée Pouchkine, Moscou

La santé de Bastien-Lepage devenait chaque jour plus chancelante. Après être venu goûter quelque peu le succès de son tableau l'Amour au village au Salon, il alla respirer l'air de la mer à Concarneau. Là encore, il essaya de tromper les souffrances à l'aide du travail et il peignit quelques marines en Bretagne. Il revint à Damvillers ; les douleurs de reins et d'entrailles avaient reparu plus violentes que jamais. C'est alors que les médecins lui conseillèrent un séjour de deux mois en Algérie. Il y arriva vers le commencement de mars 1884, ressentit d'abord une amélioration factice et passagère, et les forces et l'appétit s'en allant, on se décida à ramener le malade en France. Il se réinstalla à Paris, amaigri et méconnaissable, mangeant à peine et ne dormant plus, et ce fut, durant de longs mois, où Bastien-Lepage n'était plus que l'ombre de lui-même, une cruelle agonie. Il expira le 10 décembre 1884, à six heures du soir. Le 12 décembre, un long cortège d'amis et d'admirateurs conduisait son cercueil jusqu'à la gare de l'Est, et le lendemain, dimanche, toute la population de Damvillers attendait, à l'entrée du bourg, la funèbre voiture qui ramenait les restes de Bastien-Lepage au pays natal.

Autoportrait réalisé quelques jours avant sa mort

« L'atelier de Damvillers, où nous avons passé de si bonnes heures, est clos pour jamais. Les paysans du bourg ne rencontreront plus leur compatriote le long des chemins où il travaille en plein air. Les fleurs rustiques dont il aimait à décorer les premiers plans de ses tableaux, les chicorées bleues et les seneçons repousseront cet été au bord des champs, mais lui ne reviendra plus les étudier et les admirer. »

L’Atelier à Damvillers - Alfred Garnier - Musée JBL Montmédy


Le mausolée Bastien-Lepage (Damvillers)


Afin d'y installer le « mausolée » familial, Emile avait acheté à l'entrée du bourg un terrain appelé l'Isle d'Envie, proche du cimetière. Les corps de Jules, de son père et de ses grands-parents y furent transférés, et seraient rejoints plus tard par ceux de sa mère, de son frère et de l'épouse de celui-ci. Le monument funéraire, dessiné et exécuté sous la surveillance d'Emile, est une grande stèle de pierre arrondie au sommet, et cerclée d'une couronne de lauriers, qu'entoure un banc. Sur les faces du monument sont gravés les noms des principales œuvres du peintre. Au centre du tombeau se trouve la pierre tombale de Jules. Au bas du terrain, sur son socle, s'élève la statue de Jules.




L’inauguration du monument de Rodin

« Damvillers, lieu de naissance de Bastien-Lepage, était en fête, hier, à l'occasion de l'inauguration du monument élevé par souscription publique à la mémoire de l'artiste. La statue, que nous avons décrite déjà et qui est du sculpteur Rodin, s'élève aux portes de la commune presque en pleine nature. 

La fête a commencé le matin par une grand'messe chantée à l'église par le prince Karageorgévitch, un jeune paysagiste, et par M. Bigot. En outre, un virtuose, M. Jaquot, de Nancy, a joué sur son violon la première romance sans paroles de Mendelssohn. 


La cérémonie de l'inauguration a eu lieu à deux heures, après un banquet servi à la mairie, sous la présidence de M. Boulanger, sénateur de la Meuse, qui, à la fin du repas, a porté un toast au président de la République. Puis les invités, précédés par une fanfare, se sont rendus en cortège, à travers les rues pavoisées de la ville, au pied du monument de Bastien Lepage. 

M. Gustave Larroumet, directeur des beaux-arts, représentait, à la cérémonie, le ministre de l'instruction publique. C'est au nom de M. Fallières que M. Larroumet a pris le premier la parole: 

Discours de M. Larroumet 

M. Fallières, a-t-il dit, est de ceux qui avaient la plus sincère admiration et la plus vive sympathie pour Jules Bastien Lepage. C'est lui qui, en 1885, marqua la place du jeune maître au Luxembourg par une de ses œuvres capitales, les « Foins », et, à la demande de votre comité, il vient d'assurer le Concours de l'Etat au monument que vous inaugurez aujourd'hui. Je lui dirai l'impression sereine et forte qui se dégage de cette fête, la grandeur de l'hommage rendu à Bastien-Lepage sur cette terre où son talent est né et a grandi, devant cette nature qui l’a formé, au milieu de ceux qu’il a aimés et qui, avec l’art, lui ont procuré les plus grandes joies de sa trop courte existence. 

L'orateur a continué en ces termes : C'est bien ici, messieurs, que devait s'élever le monument qui consacre sa gloire, et votre comité a été bien inspiré en décidant que l'hommage suprême lui serait rendu en face de sa maison natale, près du coin de terre où il dort son dernier sommeil. 

D'autres, s'ils ont conservé au fond du cœur le souvenir reconnaissant de leur province, s'ils y viennent parfois revivre leur enfance et promener leur gloire, d'autres trouvent à Paris une patrie d'adoption et lui donnent leur existence d'homme. Bastien-Lepage n'était point de ceux-là. Comme tous ceux qui consacrent leur vie à l'art, il dut chercher dans la grande ville l'éducation, un public et des juges ; mais ces années qu'il était obligé de prendre à sa chère Lorraine, il regrettait de les passer loin de vous. Il vous revenait dès qu il le pouvait et il a vécu avec votre souvenir toujours présent. Il était bien votre fils et, soyez-en sûr, vous comblez vos vœux d'outre-tombe en le constatant.

Esquisse en plâtre (1887)
Musée JBL, Montmédy
Dépôt du musée Rodin

Monument à Jules Bastien-Lepage - Auguste Rodin (1889)

M. Larroumet a ensuite évoqué la trop courte existence de Bastien-Lepage et il a rappelé que chacune des trop rares toiles du jeune maitre fut un triomphe.

Il a terminé son discours ainsi : 

Au moment où, d'ordinaire, les meilleurs n'ont encore qu'indiqué leur originalité et où l'âge mûr commence seulement à tenir les promesses de la jeunesse, Jules Bastien-Lepage mourait, laissait des chefs-d'œuvre, dégageant une formule des indécisions ou des exagérations qui la compromettaient, indiquant à la peinture une voie nouvelle, où ses jeunes héritiers marchent d'un pas sûr. Consolons-nous donc, messieurs, par ce que sa vie nous a laissé, de ce que sa mort nous a pris, et marquons sa place entre les jeunes maîtres fauchés en pleine fleur, près de Géricault et de Henri Regnault. Si l'agonie douloureuse et lente que la mort lui imposa dut exciter en lui des révoltes légitimes, du moins sa courte existence ne laisse-t-elle place à aucun regret : il a aimé la nature et la vérité, elles l'ont récompensé de cet amour par des chefs-d'œuvre; il a aimé les siens et personne ne reçut plus d'affection en échange de la sienne; il a inspiré des amitiés éclairées et fidèles; il a pratiqué son art sans aucun sacrifice à la mode qui passe ou au gain qui abaisse; il n'y a eu place dans son esprit et dans son cœur que pour de généreuses pensées. 

Messieurs, le 13 décembre 1884, Paris vous renvoyait le cercueil de Jules Bastien-Lepage, couvert de fleurs et de couronnes. Il n’y a pas encore 5 ans, et voilà que sa statue se dresse au milieu de vous pour  vous montrer l'image toujours vivante de votre cher mort. Un grand artiste s'est acquitté de cette tâche avec un dédain de la convention, un souci de la vérité, un sens de la vie que Bastien-Lepage eût aimés ; le confrère vivant a traité le confrère mort avec la sympathie profonde qui unit les natures semblables. Vous le reverrez donc, tel que vous l'avez vu si souvent, avec son allure énergique et son costume de peintre de la nature, parcourant vos campagnes, la palette à la main, l'œil fixé sur les spectacles qu'il étudia depuis son enfance jusqu'à sa mort. Je suis sûr de répondre à vos propres sentiments, en témoignant à Auguste Rodin la reconnaissance et l'admiration de tous les amis de Bastien-Lepage. »

La fin de la cérémonie

Pascal Dagnan-Bouveret
« MM. le sénateur Boulanger et Amic ont prononcé d'autres discours. Puis M. Dagnan-Bouveret, le peintre bien connu de « Bretonnes au pardon » a tenu, bien que très souffrant des suites d'une chute, à saluer une dernière fois son camarade : 

Aujourd'hui, a-t-il dit en terminant, nous voulons nous réjouir en ton honneur, Bastien, reporter toutes nos pensées vers ton souvenir, nous voulons parcourir ton village, les alentours, revoir les coins où tu as peint tes tableaux, revenir par les sentiers que tu affectionnais. Tu aimais tant ton pays ! Tes yeux et ta pensée se sont promenés avec tant d'amour sur toutes les choses d'ici, que tu avais rêvé de peindre, que nous croyons peut-être un peu nous retrouver avec toi. 

Nous saluons avec une respectueuse émotion le pays qui a donné un tel fils à la France. Nous saluons en toi, cher ami, une des gloires pures de notre art national. 

Des discours enfin ont été prononcés par M. Vistié, en son nom et au nom de M. André Theuriet, empêché d'aller à Damvillers ; Bouillie, au nom des anciens élèves du lycée de Verdun, et Goujon, l'un des amis d'enfance Bastien-Lepage. Le soir, Damvillers était illuminé, et un bal avait lieu à la Halle aux Blés.
Mme Bastien-Lepage mère avait fait verser 500 fr. aux pauvres de la ville. »

Portrait de M. Albert Wolff - Jules Bastien-Lepage (1881)
Cleveland Museum of Art
Le critique d’art Albert Wolff et ami du peintre a rendu hommage à son ami en écrivant un article dans Le Figaro du 30 septembre 1889. En voici quelques extraits, notamment lorsqu’il participe à Damvillers, à l’inauguration du monument de Rodin.

« Me voici revenu dans la maison en fête, car il ne saurait être question de tristesse devant ce bel hommage à Bastien Lepage. La maison explique l'histoire de la famille Lepage. La modeste demeure des paysans lorrains est intacte dans sa partie ancienne ; le vestibule, avec sa grande cheminée où flambent les bûches, car il fait très froid, L’installation modeste des commencements disent les origines obscures. Bastien, qui passait ici la plus grande partie de l'année, y a fait ajouter un atelier. Dans les rues on rencontre ses modèles : la marchande de tabac a posé pour Jeanne d'Arc; la ramasseuse de pommes de terre est cuisinière chez Emile Lepage. Celui-ci, à son tour, a embelli la maison paternelle en enlevant la toiture d'un long grenier où il a établi une galerie qui reçoit le jour d'en haut et qui est décorée avec un grand goût. Avec un vieux poêle en faience, il y a construit une cheminée monumentale du plus artistique effet. Nous y avons diné hier à l'arrivée et, au milieu de trente convives ; Mme veuve Bastien Lepage était radieuse. Juste en face d'elle se trouvait le portrait du grand artiste, fait par lui-même. Pour la circonstance, on l'a entouré d'une guirlande de plantes et de fleurs. 

Atelier de JBL à Damvillers - Alfred Garnier - Musée JBL, Montmédy
Portrait du peintre émailleur Alfred Garnier (1870) - Jules Bastien-Lepage 

La mère Bastien, comme les artistes l'appellent familièrement, a été admirable de dévouement pendant la cruelle maladie de son enfant. Elle l'a suivi en Algérie, malgré la terreur que la mer inspirait à cette brave femme, qui n'avait, pour ainsi dire, jamais quitté son pays natal. C'est une de ces natures de paysannes dont l'énergie résiste à toutes les tourmentes. Avec la vie elle avait donné à son fis la volonté qui s'exprime dans ses traits. Elle a beaucoup souffert et elle a gardé avec la vivacité de la jeunesse l'expression de bonté grande qui attire toutes les sympathies vers cette petite femme courageuse. Elle renait aujourd'hui à l'espérance devant l'apothéose que son cher Bastien reçoit dans la tombe. Je ne saurais dire avec quelle tendresse infinie son regard illuminé par la satisfaction maternelle allait toujours vers le portrait qui lui semblait sourire. C'était doux et plein d'émotion, et rien que pour ce spectacle charmant, je suis heureux d'être venu à Damvillers. La vieille mère est heureuse de toutes les affections qui ont survécu à son enfant ; on lit dans ses yeux sa reconnaissance pour ceux qui sont venus de si loin se grouper autour de l'image de son fils. »

Le square Jules Bastien-Lepage à Damvillers

Principales œuvres et lieux d’exposition 


1869. Portrait de Mademoiselle Xoupp - Musée de Grenoble (F)
1870. Portrait de M. Lemarchand - Musée Bastien-Lepage, Montmédy (F)
1870. Portrait du peintre émailleur Alfred Garnier - Petit-Palais, Paris (F)
1874. Portrait de mon grand-père - Musée des  Beaux-Arts, Nice (F)
1874. La Chanson du printemps - Musée de la Princerie, Verdun (F)
1875. La Communiante - Musée des Beaux-Arts, Tournai (B)
1875. Portrait de M. Simon Hayem - Musée des Augustins, Hazebrouck (F)
1875. L'Annonciation aux bergers - National Gallery of Victoria (AUS)
1875. Portrait de M. Wallon - Musée de l’Histoire, Versailles (F)
1876. Priam aux pieds d’Achille - Palaos des Beaux-Arts, Lille (F)
1877. Job - Musée des Beaux-Arts, Nancy (F)
1877. Portrait de la mère de l’artiste - Musée des  Beaux-Arts, Nice (F) 
1877. Portrait du père de l’artiste - Musée des  Beaux-Arts, Nice (F) 
1877. Diogène - Musée Marmottan-Monet, Paris (F)
1877. Les Foins  - Musée d’Orsay, Paris (F)
1878. Portrait de Madame Godillot - Musée Bastien-Lepage, Montmédy (F)
1878. Adolphe Franck - Musée Bastien-Lepage, Montmédy (F)
1878. Portrait de M. André Theuriet - Musée des Beaux-Arts, Tours (F)
1878. Retour des champs - Château-musée de Nemours (F)
1878. La Toussaint - Musée des Beaux-Arts, Budapest (H)
1878. Faucheur aiguisant sa faux - Musée des Beaux-Arts , Nancy
1878. Retour des champs - Musée des Beaux-Arts , Nancy
1879. Saison d'octobre - National Gallery of Victoria (AUS)
1879. Jeanne d’Arc - Metropolitan Museum of Art, New-York (USA)
1879. Portrait de Mme Sarah Bernhardt - Collection particulière 
1879. Emile Bastien-Lepage - Musée des Beaux-Arts, Nancy
1879. Portrait du Prince de Galles, futur Édouard VII - Buckingham Palace, Londres 
1879. Le Semeur - Musée Bastien-Lepage, Montmédy (F) 
1880. Portrait de l’artiste - Musée d’Orsay, Paris (F)
1880. Les Blés mûrs 1 - Musée d’art moderne, Le Caire (EGY)
1880. Un pont de Londres - Musée des Beaux-Arts, Tournai (B)
1880. Autoportrait - Musée Bastien-Lepage, Montmédy (F)
1880. Portrait d’Eugène Richtenberger - Musée Bastien-Lepage, Montmédy (F)
1880. Le Mendiant (esquisse) - Musée Bastien-Lepage, Montmédy (F)
1880. Le Mendiant - Ny Carlsberg Glyptotek Copenhague (DK)
1881. Portrait de M. Albert Wolff - Cleveland Museum of Art (USA)
1881. La Faneuse au repos - Galerie nationale, Oslo (NOR)
1881. La Nuit sur la lagune - Musée Mangin, Dijon (F)
1881. Jeune femme endormie dans son lit - Musée Bastien-Lepage, Montmédy (F)
1881. Pauvre Fauvette - Kelvingrove Art Gallery and Museum, Glasgow (Écosse)
1881. La mort d’Ophélie - Musée des Beaux-Arts, Nancy (F)
1882. La Chaîne - Musée des Beaux-Arts, Tournai (B)
1882. Petit Cireur de bottes à Londres - Musée des Arts décoratifs, Paris (F)
1882. Pas mèche - National Gallery of Scotland, Édimbourg (Écosse)
1882. Petite fille allant à l’école - Art Gallery and Museum, Aberdeen (Ecosse)
1882. Marchande de fleurs à Londres - Collection particulière
1882. Une rue à Damvillers - Galerie nationale, Oslo (NOR)
1882. Clair de lune à Damvillers - Collection privée 
1882. Le père Jacques - Milwaukee Art Museum (USA)
1882. Le Petit Colporteur endormi - Musée des Beaux-Arts, Tournai (B)
1882. Portrait du vicomte Lepic - Musée Bastien-Lepage, Montmédy (F)
1883. Le Petit Ramoneur - Collection particulière 
1883. L’Amour au village - Musée Pouchkine, Moscou (Rus)
1883. Gambetta sur son lit de mort -Musée Carnavalet, Paris (F)
1883. Portrait de Mme Juliette Drouet - Maison de Victor Hugo, Paris (F)
1884. Les Blés mûrs 2 - Santa Barbara Museum of Art (USA)
1884. Lever de lune à Alger - Musée des Beaux-Arts, Nancy (F)

Plaquette réalisée par le Groupement d'Activités du Damvillois
Ce circuit qui emprunte ruelles et chemins de Damvillers, permet de découvrir
quelques-unes des œuvres peintes dans le village natal de Bastien-Lepage.


Sources 

  • Jules Bastien-Lepage : l'homme et l'artiste (1885) / André Theuriet / gallica.bnf.fr
  • Bastien-Lepage - Sa vie et ses œuvres (1885) / Louis de Fourcaud / gallica.bnf.fr
  • Grand dictionnaire universel du XIXe siècle / Pierre Larousse / gallica.bnf.fr
  • La Petite presse du 02 octobre 1889 / gallica.bnf.fr
  • Le Gaulois du 11 décembre 1884 /Louis de Fourcaud / gallica.fr
  • Le Figaro du 30 septembre 1889 / Albert Wolff / gallica.bnf.fr
  • Wikimedia Commons
  • CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris
  • The British Museum, Londres
  • Nasjonalmuseet, Oslo
  • The Clark Art Institute, Williamstown

Bibliographie

  • Jules Bastien-Lepage, Catalogue raisonné de l’Œuvre / Marie-Madeleine Aubrun (1985)
  • Jules Bastien-Lepage, peintre lorrain / Bernard Ponton / Citedis Éditions (1999)
  • Jules Bastien-Lepage /  S. Lemoine, D. Lobstein, M. Lecasseur, E. Amiot-Saulnier, J. Montchal / Nicolas Chaudun Éditions (2007)
  • Jules Bastien-Lepage / Dominique Lobstein / Département de la Meuse-Serge Domini Éditeur (2019)

Fresque jouxtant la bibliothèque André Theuriet à Damvillers
Virginie Rouyer et Gilles Duflot, automne 2018


07/12/2022

La Tranchée des Baïonnettes

La Tranchée des Baïonnettes, initialement appelée « tranchée des fusils », est sans doute le site mémoriel du champ de bataille de Verdun le plus controversé. Né à partir d’une légende, certains le considèrent comme une imposture indigne, d’autres comme un site incontournable rendant hommage à tous les Poilus disparus durant la Grande Guerre.

La Tranchée des Baïonnettes et la stèle du 137° R.I.


Les faits historiques 


Le 9 juin 1916, vers 19h, le 137° régiment d'infanterie de Fontenay-le-Comte (Vendée) quitte la citadelle de Verdun pour rejoindre le front et tenter d'empêcher l'ennemi de franchir la première ligne française. Là, déployés sur le versant nord du ravin de la Dame, deux bataillons de cette unité composée en grand nombre de Vendéens et de Bretons, sont écrasés par le feu de l’ennemi en tentant de tenir ce secteur. 
Autour de ce monument, situé à 500 m au nord de la nécropole nationale et de l'ossuaire de Douaumont, différents récits sur ce combat s'entrecroisent. Depuis la fin de la guerre, la vérité de ces faits d'armes des Bretons et des Vendéens du 137° RI a été magnifiée et la réalité des combats modifiée. 

Pour certains, il s'agirait d'hommes qui, s’apprêtant à franchir le parapet de la tranchée, ont été ensevelis vivants par l'explosion d'un obus allemand. La terre n’aurait alors laissé dépasser que les pointes des baïonnettes de ces valeureux soldats morts debout face à l’ennemi. 

Pour d'autres, il s'agit d'une fosse commune où sont ensevelis, au terme des attaques, les restes mortels des soldats français. De cet épisode glorieux écrit par ces hommes sont nées l’histoire et la mémoire de la Tranchée des Baïonnettes.

Deux bataillons décimés


Dans la nuit du 9 au 10 juin, le lieutenant, colonel Gauthier, commandant le 137° RI, atteint le PC 119, sur la cote de Froideterre, où il se rend compte immédiatement que la situation des bataillons à relever et des plus délicates. En effet, ces positions situées à contre-pente du Ravin de la Dame s’avance vers la ferme de Thiaumont, dominée par l’ennemi installé plus au sud. Par ailleurs, l’observation et la liaison avec l’artillerie restent défectueuses. Enfin, l’aile droite de son dispositif, occupée par les deux bataillons désignés, est à découvert sur plus de 500 m. Pour autant, le colonel maintient son ordre et engage la relève pour organiser un secteur battu par un déluge de feu et d’acier. 

Les officiers du 1er Bataillon du 137° R. I.

(Photographie prise le Ier mai 1916) : 1 Commandant Denef (tué). 2 Lieutenant de

Kainlis (tué). 3 Lieutenant de la Bruchellerie (tué), 4 Lieutenant Grenier (tué). 

5 Lieutenant Conte (blessé), 6 Lieutenant Foucher (blessé), 7 Capitaine Lambert, 8 Lieutenant Debroise. 

9 Lieutenant Guignaux. 10 Lieutenant Caillon (blessé).

Source : Le Monde illustré du 11 décembre 1920


À l’aube du 10 juin, le 1er bataillon conduit par le commandant Denef et le 3e bataillon du commandant Dreux remplacent les hommes des 93e et 337e RI. Entre le boyau, Le Nan et l’ouest de la tranchée Genet, les fantassins s’abritent dans une succession de trous d’obus. Cette position des plus sommaires est aménagée à la hâte. Malgré des renseignements obtenus de prisonniers et la concentration de pièces d’artillerie allemande, signifiant l’imminence d’une attaque, la mission du 137° RI n’est pas modifiée. L’objectif est d’occuper et de défendre un secteur essentiel à l’organisation du front. Le 11 juin, le bombardement ennemi s’intensifie. Pendant 10 heures, les Français sont soumis à un feu permanent. À 19h, le bataillon Denef a perdu près de la moitié de ses effectifs et le bataillon Dreux enregistre 30 % de pertes. Le pilonnage se poursuit toute la nuit et les hommes se protègent comme ils peuvent. Le soldat Pierre Penisson témoigne : « Les obus tombent jusque dans la tranchée, causant de nombreux blessés. C’est un enfer épouvantable. Certains hommes sont debout, mais beaucoup sont à genoux pour se préserver des éclats d’obus ».

Le 12 juin à 6h, un premier assaut allemand, venant du Nord, est lancé entre l’abri 320 et le bois de Nawé : il est repoussé par le tir de quelques mitrailleuses. Débouchant de la ferme de Thiaumont, un second assaut est stoppé, au cours duquel le commandant Denef meurt dans la défense de son PC. À 7h, les Bavarois poursuivent leurs efforts. Progressant méthodiquement de trous d’obus en trous d’obus, ils attaquent à la grenade, mais ils sont encore arrêtés. Soutenu par le feu de son artillerie, l’ennemi, renouvelle l’assaut, s’infiltre et prend à revers les Français. Au milieu de l’enfer et du chaos, Dreux et Denef, isolés et privés de munitions, sont progressivement submergés. Après 24 heures d’effroyables bombardements, « coupés de l’arrière par un barrage, vraiment infranchissable sur le revers sud du ravin de la Dame, ces deux bataillons ont été écrasés sur place et les débris [d’unité] faits prisonniers. Le lieutenant-colonel Gauthier n’a revu de ses deux bataillons qu’un sous-officier et un homme de rang. Les jours suivants, les combats perdent en intensité. Le 137° RI a perdu 37 officiers, 133 sous-officiers et 1387 soldats.


Le monument provisoire de la Tranchée des Baïonnettes


En décembre 1918, parcourant le champ de bataille, l'abbé Ratier, brancardier en 1916 du 137° RI, aperçoit sur la crête de Thiaumont, sortant de terre, quelques canons de fusils. En réponse à cette étrange découverte, le commandant du régiment fait ériger un petit monument commémoratif surmonté d’une croix. La presse locale se passionne pour ce lambeau de «terre sacrée », ou les « morts montent la garde ». Très vite, au fil des récits, les fusils disparaissent au profit des baïonnettes, armes blanches plus évocatrices de l'horreur des combats auprès d'une opinion publique émue par de tels faits. Ce monument régimentaire, seul dans ce pays dévasté, attire alors l'attention des pèlerins, en particulier celle d'un banquier américain, George T. Rand. Ému par la force et la solennité de ce lieu, il offre 500 000 F pour faire ériger un monument dédié aux héros de Verdun. Il est aujourd’hui le plus ancien monument du champ de bataille de Verdun.

Monument aux morts du 137e régiment d'infanterie à Thiaumont (1919) - gallica.bnf.fr


L’inauguration de la Tranchée des Baïonnettes


(Article de presse paru dans le Télégramme des Vosges du jeudi 9 décembre 1920) - Aux héros de la Tranchée des Baïonnettes - Un hommage national - Le président de la République inaugure le Monument.  

Alexandre Millerand
Wikimedia Commons 
Le Président de la République a quitté Paris ce matin, à 8 h. 40, pour Verdun, où il va inaugurer le monument élevé aux environs de Douaumont, à la « Tranchée des Baïonnettes ». Les honneurs militaires lui ont été rendus à la gare. Le Président a été salué par MM. Maginot, Hugh Wallace, ambassadeur des Etats-Unis; les maréchaux Joffre et Foch qui accompagnent le Président dans son voyage, et par M. Steeg, ministre de l'intérieur. Le wagon dans lequel a été signé l'armistice avait été attaché au train présidentiel. Au cours du voyage, il a été remis à M. Millerand par M. Noblemaire, directeur de la Compagnie P. L. M.
A l'Hôtel de Ville - Au Cimetière  - Verdun - Le train présidentiel entre en gare. M. Millerand passe en revue le bataillon du 132°, qui rend les honneurs, puis, accompagné de l'ambassadeur des Elats-Unis et des sénateurs et députés de la Meuse, le cortège présidentiel quitte la gare pour se rendre à l'Hôtel de Ville. Sur tout le parcours, la population fait un accueil chaleureux au chef de l'Etat. À l'Hôtel de Ville, les présentations d'usage ont lieu. M. Millerand remet la croix de la Légion d'honneur à M. Schleiter, adjoint au maire. Le maréchal Foch remercie les membres de la famille de M. Rand, à qui l'on doit le monument que l'on va inaugurer aujourd'hui.

Le cortège présidentiel gagne ensuite le cimetière du faubourg Pavé. MM. Millerand et Hugues Wallace déposent des palmes. Le Président de la République, après une courte visite au cimetière, se rend ensuite avec son escorte au monument de la Tranchée des Baïonnettes. Une compagnie du 132°, avec drapeau, rend les honneurs.

Le Bulletin de la vie artistique du 15 juillet 1920 - gallica.bnf.fr

Le récit officiel du lieutenant Foucher, commandant la 4° compagnie du 137°, à la « Tranchée des Baïonnettes », explique ainsi, dans un rapport que publie l'Intransigeant », comment se forma la tranchée:

« La « Tranchée des Baïonnettes» se trouve à cheval sur la droite de la 3° compagnie et sur la gauche de la 4° compagnie. Voici comment elle a été formée. Le 11 juin 1916, au matin, un violent bombardement de pilonnage se déclenche et dure toute la journée et une faible partie de la nuit. C'est pendant le cours de cette journée du 11 que les obus (150, 210 et plus gros) ont donné l'aspect retrouvé plus tard de la « Tranchée des Baïonnettes ».

Les hommes attendaient l'attaque avec le fusil, baïonnette au bout, mais cette arme était appuyée au parapet à portée du combattant, qui avait dans ses mains des grenades, prêt à repousser d'abord à la grenade l'attaque probable.

Les obus, tombant en avant, en arrière et sur la tranchée, rapprochèrent les lèvres de cette dernière ensevelissant nos vaillants Vendéens et Bretons. C'est par le fait qu'ils n'avaient pas à la main le fusil qu'il s'est trouvé que les baïonnettes émergeaient après l'écroulement des terres.

Dès ce soir-là, le 11 juin 1916, la tranchée avait l'aspect que l'on a retrouvé à l'armistice.

Discours de l'ambassadeur des États-Unis (extraits)

L’ambassadeur des Etats-Unis
Hugh Wallace - gallica.bnf.fr
M. Hugh Wallace prend le premier la parole : « Grande est la gloire de la France, dit-il, car elle peut revendiquer Verdun comme son propre bien. Immense est la dette de reconnaissance qu'elle y imposa au monde, car à Verdun elle fut seule à affronter les Barbares. La Victoire qui une fois de plus a sauvé ici la civilisation est la sienne, et nul autre ne peut en réclamer la moindre part. Une pareille dette ne saurait être acquittée, et ce que nous faisons n'a d'autre objet que de la reconnaître. Ce monument vient d'Amérique. En qualité de représentant de ce pays, je le consacre comme symbole de cette gratitude que notre amitié nationale rendra éternelle. »

Discours de M. Millerand (extraits)

L’inauguration du 8 décembre 1920
gallica.bnf.fr
M. Millerand répond en ces termes à l'ambassadeur des Etats-Unis : «La Tranchée des Baïonnettes ! Quel symbole plus saisissant de la résistance indomptable opposée par le soldat français à l'armée allemande ! C'est la synthèse même de la bataille de Verdun. Le monument si grand, si impressionnant dans sa simplicité que l'on inaugure aujourd'hui, montre une fois de plus la force et l'intimité des liens qui réunissent l'une à l'autre les républiques américaines et françaises. Il signifie la continuité dans la paix de l'entente scellée dans les épreuves de la guerre.

Au lendemain de la bataille, il reste à consolider et à développer les résultats de la Victoire.

La France est de toute son âme attachée à la paix. Parler de son impérialisme, c'est spéculer sur l'ignorance des uns et sur la mauvaise foi des autres.

Saignée à blanc par une guerre dont elle a supporté le poids le plus lourd, elle ne réclame rien que les justes réparations que l'ennemi et ses alliés lui ont promises. Pour les obtenir, elle sait que l'amitié des Etats-Unis ne lui fera pas défaut.

Devant la tombe de soldats français ensevelis vivants et armés dans leur sublime sacrifice, devant le monument édifié sur cette tombe par la piété de leurs frères d'armes américains, rappelons-nous l'engagement sacré des Lafayette et des Washington. L'union de la France et des Etats-Unis ne manquera jamais à la cause de la liberté et de la civilisation. »

Le retour à Verdun

La musique militaire joue l'hymne américain et la «Marseillaise». Le président de la République fait le tour du monument, puis le cortège repart à 14h50 pour le fort de Vaux.

Le président Millerand et l’ambassadeur Wallace
gallica.bnf.fr
Inauguration du 8 décembre 1920 - gallica.bnf.fr
On reconnaîtra les maréchaux Joffre et Foch, le sénateur Poincaré
La Tranchée des Baïonnettes en 1920 - gallica.bnf.fr


La Tranchée des Baionnettes, « une histoire trop belle pour ne pas devenir légendaire »


Depuis un siècle, les histoires concernant ces quelques canons de fusils émergeant du sol ont suscité plusieurs interprétations. Commentées par de nombreux historiens, par les survivants ou par les journalistes, plusieurs versions des faits se sont succédé au fil du temps. Des ses origines, l'histoire se mêle intimement au mythe, entraînant d'importants débats.

Pour les uns, il s'agirait d'hommes qui, s'apprêtant à franchir le parapet de la tranchée, auraient été ensevelis vivants par l'explosion d'un obus allemand. La terre n'aurait alors laissé dépasser que les pointes des baïonnettes de ces valeureux soldats morts debout face à l'ennemi. Les morts montent ainsi la garde dans la tranchée dévastée. L'explosion d'un obus excavant plus le sol qu'elle ne le comble, très vite cette histoire est apparue comme impossible.

Pour les autres, au terme de ce combat au cours duquel les bataillons engagés ont perdu 30 à 50 % de leur effectif, les Allemands ont inhumé les corps des victimes dans les vestiges de la tranchée puis auraient utilisé les fusils français pour délimiter le périmètre de ce cimetière improvisé. En effet, les rapports de fouille de juin 1920 confortent cette hypothèse. Avant l'édification du monument, le service du génie relève 21 corps. Le fait que tous soient allongés et désarmés confirme les témoignages recueillis.

Les quatorze corps identifiés sont transférés au cimetière provisoire de Fleury, les 7 inconnus sont inhumés sous l'imposante dalle de béton de la tranchée.

Indéniablement conçue par des Français de l’arrière, la mémoire de ce fait d'armes est aujourd'hui encore discutée. La plus récente des hypothèses est que ce premier écrit aurait permis de dissimuler le nombre de soldats capturés en juin 1916 par les Allemands, alors que cette unité s'était dès 1914, illustrée sur le champ de bataille.


Extrait du quotidien Ouest-France du 2 août 2014

Lucien Polimann vers 1933
Wikimedia Commons 
Au début des années 1930, le mystère semble levé lorsque le lieutenant Lucien Polimann se décide à témoigner.

Ce 12 juin 1916, il commande encore une soixantaine d'hommes du 137° RI. Les munitions sont épuisées. Plus de vivres. Plus d'eau. Le lieutenant se résout alors à demander la reddition de son régiment. Les Allemands acceptent. 

Recevant l'ordre de déposer leurs armes, les poilus rescapés alignent leurs fusils à la verticale sur la paroi de la tranchée et se rendent. « Une sorte de dernier hommage à leurs frères d'armes dont les cadavres en jonchent le fond », note Jean Rousseau dans son ouvrage 14-18, les Poilus de Vendée. 

Pendant des mois. les obus et les intempéries comblent ce qui va devenir la fameuse Tranchée des baïonnettes. On est bien loin de la légende « des guetteurs du sol de France morts pour la France ». Elu député de la Meuse, le lieutenant Polimann n'aura pas le coeur de rétablir la vérité historique.  « L'histoire, explique-t-il beaucoup plus tard, était bien trop belle pour ne pas devenir une légende. »


Jean Norton Cru dans « Du témoignage » publié en 1930


« Cette légende ne trouve place dans aucun récit de combattant, elle ne semble pas avoir existé pendant la guerre. Elle fut créée par les premiers touristes civils ou militaires, visiteurs du front. Voyant la rangée des baïonnettes qui émergeaient du sol, ils n’en comprirent pas la signification et en fabriquèrent une conforme aux notions absurdes qu’ils avaient de la bataille. La découverte des ossements dans la tranchée comblée les confirma dans leur merveilleuse invention. Ils ne savaient pas qu’il y en a tout le long du front, dans les mauvais secteurs, de ces tranchées comblées qui sont des fosses communes de Français et d'Allemands. Enterrer les morts, amis ou ennemis, est un devoir, mais avant tout une nécessité. Un segment de tranchée non utilisé offre la tombe la plus pratique; pour la marquer, les fusils abandonnés sont les objets les plus faciles à trouver. 

Voici les faits historiques sur lesquels la légende est venue se greffer après la guerre. Le 12 juin 1916 la 3e et la 1e compagnie du 137e de Fontenay-le-Comte (21e division, 11e corps) prennent position sur les pentes sud-est de Douaumont. Elles subissent une violente attaque qui submerge leurs tranchées : des hommes sont tués, d'autres sont pris, d'autres s'échappent. 

Les Allemands, maîtres du terrain, rassemblent les cadavres dispersés, les placent dans un élément de tranchée vacant, plantent des fusils le long de la fosse et la comblent. C'est tout. Tout le reste est légende et ne supporte pas l'examen. Les obus sont incapables de combler une tranchée comme est comblée une tombe, car ils creusent autant qu'ils comblent, et la loi de la dispersion leur interdit de creuser sur une même ligne afin de pouvoir combler une autre ligne. La légende exige un miracle, elle veut que les obus, désobéissant pour une fois à la loi de la dispersion, soient tombés tous rigoureusement à un mètre en avant du parapet en épousant les sinuosités du fossé. Mais cette merveille ne suffit pas car il reste à expliquer pourquoi les poilus se sont laissé graduellement enterrer. Sous le feu, le soldat n'est pas strictement attaché à son poste comme la sentinelle à la caserne. Il a la latitude de se déplacer et, dans les pires secteurs, cette latitude n'a d'autre limite que le sens du troupeau qui garde une section relativement groupée : tel préfère s'abriter dans la tranchée mal faite et peu creuse, tel préfère la protection qu'offrent les trous d'obus. Si la tranchée devient intenable, tout le monde s'égaille dans les trous d'obus. Dans ce cas, que devient la vraisemblance du tableau héroïque ? 

Comment admettre que ces hommes soient restés rangés, debout, baïonnette au canon, laissant la terre leur monter de la cheville au genou, à la ceinture, aux épaules, à la bouche...? »

Commentaire de Jacques Péricard dans son ouvrage « Verdun, 1914-1918  »


« Mais, dira-t-on, que reste-t-il de la légende ? Ce qu'il en reste ? Tout. Que voulait prouver la légende, si légende il y a ? La ténacité indomptable des défenseurs de la tranchée. Par ce que nous avons dit des hauts faits de ces hommes, cette ténacité n'est-elle pas établie sur des bases assez solides? Que désirer de plus que cette réédition magnifique des Dernières Cartouches ? 

Il est une autre réflexion sur laquelle nous nous permettons d'attirer attention d'une façon toute particulière. 

Les étrangers qui ont élu la tranchée, devenue la Tranchée des Baïonnettes, ne savaient, nous l'avons dit, ni à quel régiment appartenaient les hommes enterrés là, ni quels étaient ces hommes; le monument élevé, on fait es recherches et on découvre une page d'épopée. 

Mais la découverte eût été la même si, au lieu de la Tranchée des Baïonnettes actuelle, les étrangers avaient choisi, pour crypte de leur monument, l'une quelconque des nombreuses tranchées de Verdun. Tout le champ de bataille de Verdun a été le théâtre d'héroïsmes inouïs. Là des d'Assas, là des Bayards, là des Léonidas par milliers et dizaines de milliers. 

C'est tout le champ de bataille de Verdun, de Vauquois à Calonne, qu'il conviendrait de recouvrir d'un vaste monument, car tout ce champ de bataille n'est qu'une vaste Tranchée des Baïonnettes, où, sur chaque mètre carré, si vous creusez le sol, vous trouvez les os de plusieurs soldats français tués là, soit par l'obus, soit par la balle, soit par la grenade, de soldats qui, pendant plusieurs mois, n'eurent à opposer à l'avalanche du fer et à l'inondation du feu que le rempart de leurs poitrines nues et qui, aux vertus consacrées de l'héroïsme français, l'audace, la furie, le mépris de la mort, ajoutèrent cette vertu que nous déniaient nos ennemis : la ténacité. C'est justement cette ténacité sublime que glorifie la Tranchée des Baïonnettes et nous pouvons nous incliner en toute tranquillité devant le monument : la légende appartient à la plus authentique histoire. »


Le monument de la Tranchée des Baïonnettes 



Le porche monumental restauré en 2016
Conçu par Andre Ventre, architecte des Beaux-arts, l'ensemble architectural, rapidement exécuté, est inauguré le 8 décembre 1920 par Alexandre Millerand, président de la République. et par l'ambassadeur des Etats-Unis. Le visiteur pénètre dans l'ouvrage par une entrée massive que ferme une grille en fer forgé. Ce portail est réalisé par le ferronnier d'art Edgar Brandt. Au-delà de ce portail, il parcourt un cheminement étroit en escalier, évoquant les boyaux empruntés par les soldats qui montaient au front. Cette allée centrale recouvre sensiblement le trace de l'ancien boyau Hublet où se déroulent les faits de juin 1916. En point de mire, une croix de pierre rappelle l'abnégation de tous les soldats de Verdun. D'un style brut et épuré, une imposante dalle de béton reposant sur des colonnes sans base ni chapiteau protège, tel un reliquaire, l'emplacement de la tranchée comblée.

Les croix indiquent les sépultures de sept soldats inconnus. Cet imposant monument avait à l'époque une triple vocation : conserver le souvenir des défenseurs de Verdun, honorer les survivants et nourrir le patriotisme de l'après-guerre. Le monument a été classé monument historique en 1922.

Portail en fer forgé
Propriété du ministère de la défense, en mars 2014, ce site est reconnu avec la nécropole nationale de Fleury-devant Douaumont comme l'un des 9 hauts-lieux de la mémoire nationale. La Tranchée des Baïonnettes symbolise, au-delà des récits et des interprétations des faits historiques de juin 1916, le sacrifice des soldats français sur le champ de bataille de Verdun.


« MONUMENT ELEVÉ A LA GLOIRE DES SOLDATS DU 137e R.I.

PRÊTS A L'ATTAQUE ENSEVELIS FUSIL EN MAINS, DANS LEUR TRANCHÉE ACTUELLEMENT 

RECOUVERTE PAR LE MONUMENT DE LA TRANCHÉE DES BAIONNETTES

 ERIGÉ EN 1919 PAR LES SOINS DU COLONEL DE BONNEFOY COMMANDANT LE 137e R.I. »


La tranchée où reposent les corps de 7 soldats inconnus.
Les 14 autres soldats retrouvés, tous identifiés, reposent à la nécropole 
de Fleury-devant-Douaumont.



Sources 

  • Panneaux d’information de la Tranchée des Baïonnettes 
  • Le Télégramme des Vosges du 11 décembre 1920 - gallica.bnf.fr
  • Témoins (1929)  Les Étincelles / Du Témoignage, Jean Norton Cru (1930) Gallimard 
  • Verdun, histoire des combats qui se sont livrés de 1914 à 1918, sur les deux rives de la Meuse (1933) Jacques Péricard - Librairie de France - gallica.bnf.fr
  • Ouest-France du 02 août 2014