05/11/2022

Juvigny-sur-Loison et sainte Scholastique

La vie de sainte Scholastique

La vie de sainte Scholastique est assez peu connue. La sœur (jumelle selon la tradition) de saint Benoît, fondateur de l’ordre des Bénédictins, est probablement née vers 480 à Nursie à une centaine de kilomètres au nord de Rome.

 
Verrières conçues par l’abbé Gervaise, curé de Juvigny, 
réalisées de 1929 à 1931 par Joseph Benoît 
Église de Juvigny-sur-Loison

Elle était moniale dans un monastère proche de celui de son frère Benoît (monastère du Mont Cassin). Saint Grégoire le Grand, par qui nous connaissons la vie de saint Benoît, nous rapporte un épisode important sur leur relation. Ils avaient l'habitude de se rencontrer un fois par an dans une maison proche du monastère de Benoît.

Saint Benoît et Sainte Scholastique 
Église de Juvigny-sur-Loison

Un soir, alors que Benoît veut mettre fin à leur entretien pour regagner son monastère comme le prévoit la règle, Scholastique le supplie de rester encore à parler de Dieu. Benoît refuse sèchement. Sa sœur, en larmes, supplie Dieu et voilà qu'un violent orage éclate dans le ciel serein. Aux reproches de Benoît qui ne peut plus sortir, elle répond : "Je t'ai supplié et tu ne m'as pas écouté, j'ai supplié mon Dieu et lui a entendu ma prière". Voyant ce miracle évident, l’homme de Dieu comprit qu’il ne devait pas résister plus longtemps au pieux désir de sa sœur. Ils purent ainsi converser toute la nuit. Le lendemain, avant le lever du soleil, l’orage était complètement passé, ils se quittèrent pour ne plus jamais se revoir en ce monde.

Verrières conçues par l’abbé Gervaise, curé de Juvigny, 
réalisées de 1929 à 1931 par Joseph Benoît
Église de Juvigny-sur-Loison

Scholastique avec l'apôtre Jean et son frère Benoît par le Maître de Liesborn, 
détail du retable de Liesborn (1465), National Gallery, Londres / ©️Wikimedia Commons

Trois jours après cette rencontre (le 10 février 543) , d’après le récit de Grégoire, Benoît eut la nouvelle de la mort de sa sœur dans un songe divin : il vit l’âme de sa sœur monter au ciel sous la forme d’une colombe blanche. Il voulut donc l’ensevelir dans la tombe qu’il avait préparée pour lui et où il sera aussi enterré, 40 jours plus tard (le 21 mars 543.)


Du Mont Cassin au Mans (660)

Tente sept ans après la mort de Benoît et Scholastique, le Mont Cassin fut envahi par les Lombards, sous la conduite de Zoto, duc de Bénévent. Les religieux s’enfuirent en toute hâte à Rome et un siècle s’écoula sans que personne ne tente de relever ces ruines. 

Vers 660, Béraire, évêque du Mans, eut une vision dans laquelle il reçut l’ordre d’aller chercher le corps de sainte Scholastique au Mont Cassin. Pour accomplir cette divine mission, il choisit quelques membres les plus vertueux de son clergé et les envoya en Italie munis des instructions nécessaires. Dans les premiers jours, les délégués du Mans demandèrent l’hospitalité aux moines de Fleury-sur-Loire (actuellement Saint-Benoît-sur-Loire dans le Loiret).


Or, saint Mommole, abbé de ce monastère, avait lu, depuis peu, dans les Dialogues de saint Grégoire le Grand, le récit de la dévastation du Mont Cassin. Profondément affligé de voir saint Benoit enseveli sous un amas de décombres, il décida de faire transporter son corps à Fleury. Deux religieux furent désignés pour cette mission ; tout était prêt pour le départ, quand arrivèrent les envoyés de Béraire. 


Ils furent accueillis comme il se doit, et sans que chaque groupe ne connaisse le projet véritable de l’autre, ils décidèrent de gagner Rome ensemble. Après avoir visité les lieux saints de la Ville éternelle, ils se séparèrent et prirent secrètement le chemin de la sainte montagne où ils se rencontrèrent de nouveau à leur grande surprise.


Invention des reliques au Mont Cassin
J.Benoît - Église Saint-Denis, Juvigny-sur-Loison
 


Ils mirent alors leurs efforts en commun et finirent par retrouver les ossements des deux saints corps qu’ils déposèrent dans une châsse préparée pour l’occasion.  À partir de cette époque, le monastère de Fleury porta le nom de Saint-Benoît-sur-Loire.


Après quelques jours de repos, les envoyés du Mans, songeant à retourner dans leur pays, demande en partage les reliques de Sainte Scholastique. Mommole oppose d’abord une grande résistance et finit par céder à leur juste réclamation. Les reliques de la nouvelle sainte patronne du Mans furent accueillis par une procession sans fin. Cette translation eut lieu vers le 11 juillet 660. 


Du Mans à Juvigny (874)

A la fin du IXe siècle, la reine Richilde, reine de France, épouse du roi Charles II le Chauve, petit-fils de Charlemagne, va fonder sur ses biens propres, une abbaye bénédictine à Juvigny et y amener du Mans les reliques de sainte Scholastique. Le récit de cette fondation et de cette translation, écrit par un témoin oculaire, inscrit dans les plus vieux parchemins de l'abbaye est heureusement parvenu jusqu'à nous sous forme d'imprimé. En voici le contenu :

« Durant les jours du saint Carême, l’Empereur, le seigneur Charles, accompagné de l'impératrice Richilde demeuraient dans le monastère de Saint-Denis où ils désiraient passer, selon la coutume habituelle, ces journées saintes. Un certain jour (vraisemblablement le 21 mars 871), alors qu'ils étaient assis pour le repas, le lecteur vint selon l'usage pour procéder à la lecture ; or il se trouva qu'il prit le livre des Dialogues du pape saint Grégoire. Au cours de sa lecture, il parvint au chapitre où est rapportée la visite que saint Benoît avait l'habitude de rendre à sa sœur chaque année.

Dès que la reine Richilde eut entendu cette lecture, elle fut embrasée d'un tel amour pour la vierge Scholastique qu'elle estima que rien ne serait meilleur pour elle que de pouvoir posséder des reliques de cette sainte et de construire en son honneur une basilique et un monastère. C'est pour cette raison qu'elle se rendit auprès du vénérable abbé Gozlin et de son frère qui avaient sous leur garde la ville du Mans, en leur demandant qu'elle puisse obtenir, grâce à leur obéissance et leur aide le corps de la bienheureuse vierge Scholastique. 

Eux, cependant, le lui refusèrent catégoriquement, disant qu'ils ne pouvaient le faire d'aucune manière. La reine ayant essuyé ce refus formel, estima qu'il ne serait possible de satisfaire son désir qu'en implorant la miséricorde divine et le secours de la Sainte Vierge.
Elle se prosterna alors aux genoux de l'Empereur (Charles n'a été sacré empereur à Rome que le 25 décembre 875), demandant sans cesse à son époux que lui-même en sa qualité impériale intervienne auprès du vénérable Robert, évêque de la cité du Mans, pour qu'il obtienne de lui ce que Gozlin et Geoffroy lui avaient refusé et qu'enfin, son vœu et son désir puissent être exaucés. L'empereur ayant différé durant longtemps sa décision, son épouse insista sans cesse par ses prières jusqu'à ce qu'elle obtint sa promesse, en s'évertuant aussi d'obtenir les reliques de la vierge sainte, selon la volonté de Dieu.

Or, il se trouva à cette époque que le roi Charles se dirigea vers l'Anjou, pour une expédition contre les païens (Charles assiégea la ville d'Angers occupée par les Normands au mois d'août 873) et la reine se rendit alors auprès de lui, dans la cité du Mans, attendant le retour de son époux. Aussi durant le séjour du roi en Anjou, la reine, n'oubliant pas son vœu, demanda avec beaucoup d'empressement à l'évêque Robert, et en insistant de toutes sortes de manières, qu'il accepte de lui donner les reliques de la vierge sainte Scolastique. 

Anne d'Autriche et ses enfants, Louis XIV et le duc d'Anjou,
remerciant saint Benoît et sainte Scholastique -
1775 (copie d’après Philippe de Champaigne) 
Église Saint-Denis de Juvigny-sur-Loison

Tableau de Philippe de Champaigne - 1640 -
Château de Versailles / Wikimedia Commons

Or il se trouvait que ces reliques avaient été mal gardées, du fait des invasions des païens, qui avaient criminellement incendié le monastère où elles se trouvaient exposées (vers 865-866). Aussi, la reine ayant appris qu'elles se trouvaient dans un lieu très mal protégé, décida de les faire garder attentivement et vénérer en ce lieu. Cependant, l'évêque différa longtemps sa décision, hésitant de s'engager et expliquant en même temps qu'il ignorait le lieu exact où la vierge sainte se trouvait inhumée dans la basilique. 

Et pourtant la reine continua d'aller trouver chaque jour l'évêque et de l'importuner de ses prières, qu'elle ne cessa de répandre jusqu'à ce qu'elle ait obtenu la promesse de l'évêque qui estima qu'il s'agissait de la volonté de Dieu et de la vierge sainte Scholastique; il devait accéder au désir de la reine. 

C'est dans ces conditions que l'évêque se rendit dans la basilique sous le prétexte d'y prier, mais en réalité dans le but d'accéder au souhait de la reine. Ainsi, quand ils parvinrent à l'église, alors qu'il restait peu de fidèles, tous les autres étant partis, il leur fallut alors rechercher où pouvait se trouver le saint cercueil et pour le moins le découvrir. 

Or le gardien de ce lieu, qui était de nationalité irlandaise, connaissait le secret, mais ni les menaces de la reine, ni celles de l'évêque ne parvinrent à le contraindre à révéler la vérité. Alors la reine se jeta sur lui, en lui disant qu'elle le ferait mutiler en lui arrachant les membres s'il ne dévoilait pas ce secret. Il indiqua alors l'endroit, situé sous l'autel, dans lequel en creusant assez profondément, ils trouvèrent dans le sein de la terre le trésor désiré. 

Rendant désormais grâces à Dieu, ils louèrent le Seigneur qui avait daigné exaucer leurs justes prières. Relevant ensuite les saintes reliques, l'évêque donna à la reine la plus grande partie des ossements. Il renferma ensuite les reliques restantes de façon à ce que le peuple du Mans l'ignore et ne se tourne pas en murmures et en révolte. Quant à la reine, elle rassembla les ossements dans son propre vêtement en guise de linceul, et c'est ainsi qu'elle cacha son précieux larcin qu'elle transporta ensuite avec l'aide d'un serviteur, jusque dans la basilique publique de la cité. 

Ainsi le vœu de la reine était réalisé ; elle apporta alors les reliques au monastère de Juvigny où une basilique, tout à fait digne de les recevoir, fut construite. C'est là que les saintes reliques furent inhumées au milieu des hymnes, des cierges et des chants, et où se manifestèrent et se manifestent encore de nombreux miracles que le Seigneur Jésus-Christ daigne réaliser de façon manifeste à cause des mérites de la vierge sainte Scholastique.

Translation des reliques à Juvigny-les-Dames (874)
J.Benoît - Église Saint-Denis, Juvigny-sur-Loison 

En y apportant, le 8 juin 874, les reliques de sainte Scholastique la reine espérait certainement donner un lustre tout particulier à sa « fondation » et pourtant, jusqu'à sa disparition à la Révolution, Juvigny a connu une histoire sans aucun faste. À la mort de Charles le Chauve, survenue trois ans plus tard (877), Richilde est encore très jeune (elle doit avoir environ 25 ans) ; reine et impératrice elle aurait pu se retirer comme moniale dans l'abbaye qu'elle avait fondée, mais elle préféra vivre dans le siècle en prenant le voile de veuve. Son inconduite lui valut de vifs reproches de l'archevêque de Reims, Foulques. Elle devait vivre encore de longues années; sa mort surviendra un 30 janvier, de 914 très probablement.
 

De l’abbaye à l’église paroissiale Saint-Denis (1804)

Survient alors la tourmente révolutionnaire: les bâtiments conventuels sont confisqués comme biens nationaux, les vœux religieux sont supprimés. La vente du domaine monastique aura lieu les 12 et 13 décembre 1799. Elle sera suivie de la destruction de la majeure partie d'entre eux, de l'église conventuelle en particulier. Il ne subsistera plus qu'une aile de l'abbaye du XVIIe siècle et une partie crénelée du mur de clôture. Les religieuses durent se disperser : le 1er décembre 1792, l’abbesse se retira au château familial d’Imécourt, où elle continuera de respecter fidèlement la règle de son ordre, avec quelques sœurs qui l'avaient accompagnée, jusqu'à sa mort survenue le 20 août 1807, à l'âge de 85 ans. Grâce à la fidélité et au pieux attachement des habitants de Juvigny à sainte Scholastique, Madame d'Imécourt put conserver dans un abri sûr les reliques de la sainte au cours de la tourmente révolutionnaire. A la suite de la signature du Concordat de 1802, l'abbesse d'Imécourt décida de remettre les reliques de sainte Scolastique à l'église paroissiale de Juvigny, ce qui eut lieu officiellement le 27 juillet 1804. Depuis lors, elles sont précieusement gardées. Elles furent préservées au cours des trois guerres de 1870, 1914 et 1940. Elles furent cependant l'objet de plusieurs prélèvements, dus à la prodigalité des évêques, qui firent des dons à différentes églises et monastères.

Eglise paroissiale Saint-Denis de Juvigny-sur-Loison

Châsse de sainte Scholastique (1828)

Lors de leur donation à la paroisse, les reliques furent officiellement reconnues par des témoins comme étant bien celles qui avaient fait l'objet d'un transfert en 1775. Une nouvelle vérification minutieuse eut lieu le 24 septembre1828 à l'occasion du placement des ossements dans une châsse d'argent vitrée par Mgr de Villeneuve-Esclapon ; ce reliquaire sera d'ailleurs transformé le 9 février 1870 et scellé par le vicaire général de Verdun. Le 29 octobre 1897, à la demande de Mgr Pagis, évêque de Verdun, les reliques sont expertisées du point de vue anatomique par le Dr Dubois, de Marseille, et furent l'objet d'un long procès-verbal canonique. Une autre expertise datant du 25 juin 1955 permit de confirmer que les ossements de Juvigny étaient bien ceux d’une femme vivant à l’époque de sainte Scholastique.

Oratoire Sainte Scholastique - Juvigny-sur-Loison

Cet oratoire est érigé sur l’emplacement de l’église abbatiale de l’abbaye royale bénédictine de Juvigny-les-Dames, détruite en 1794, en commémoration du deuxième centenaire de la remise des reliques de sainte Scholastique à la paroisse de Juvigny-sur-Loison le 29 août 1804, par Madame Marie-Victoire-Louise de Wassinhac d’Imécourt, dernière abbesse du monastère. Le statue est un don de l’abbé Paul Mellier.

Sources / Bibliographie

  • Sainte Scholastique et Juvigny-sur-Loison par Dom Jacques Hourlier, 1974 / Diocèse de Verdun, paroisse de Juvigny-sur-Loison 
  • Histoire de sainte Scholastique et de ses reliques par M. l’abbé Raulin, curé de Fains, 1857 / The British Library
  • L’abbaye royale de Juvigny-les-Dames par M.A. Benoît, membre de la Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc / Mémoires de la Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc, 3e série, Tome 1, 1892 / Université de Californie (p 45 à 83)

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